Francesca Palamidessi - I other words I am three
F
Ragtime Production
Voici une bien belle découverte: le répertoire de Mingus revisité par une excellente chanteuse italienne et un combo italo-belge parfaitement soudé.
La Romaine Francesca Palamidessi a abordé le piano classique à 6 ans, le violon à 9 et le chant à 17 ans. Elle s'est tournée vers le jazz, d'abord au Conservatoire de Frosinone puis, arrivée à Bruxelles à 19 ans, elle a poursuivi son cursus au Lemmensinstituut, en compagnie de Lynn Cassiers.
Ce projet dédié à Mingus, elle l'avait présenté notamment, en avant-soirée, lors du festival Jazz Brugge de 2014. La réussite du projet tient non seulement au talent vocal de la jeune Italienne, à sa parfaite maîtrise de ce rythme propre aux compositions de Mingus, mais aussi à ses excellents accompagnateurs.
Au piano, le Brugeois Hendrik Lasure qui, à 18 ans, a remporté le Storm Contest 2015. Formé au Conservatoire de Bruxelles, il a étudié le piano avec Kris Defoort et Nathalie Loriers: voilà qui explique peut-être qu'avec SCHNTZL, son duo en compagnie du batteur Casper Van de Velde, il soit programmé, en décembre, au JazzTour, en première partie du trio Loriers-Postma-Aerts. A la guitare, Simone Schirru: diplômé du Conservatoire de Cagliari, il a ensuite poursuivi ses études à Berklee et suivi des master classes avec Pat Metheny. En parallèle à son solo "Tongue Improsa", il fait partie d'un trio réunissant le Français Vincent Thékal au saxophone et l'Italien Daniele Cappucci à la contrebasse, deux musiciens installés à Bruxelles depuis un certain temps.
A la contrebasse, Francesco Galatro: diplômé des Conservatoires de Salerne puis de Frosinone, il a déjà enregistré plusieurs albums, "The beginning of a love affair", avec Bruno Salicone au piano et Armando Luongo à la batterie, "Persistence" avec le quartet du guitariste Giacinto Piracci et "Quiet Room" du batteur Sergio di Natale, avec, en invité Javier Girotto (sax) et Robin Eubanks (tb).
A la batterie, Armando Luongo, un musicien originaire de Salerne mais établi à Bruxelles depuis plusieurs années. Il a terminé ses études au Conservatoire de Bruxelles, dans le cadre d'un échange Erasmus. Il fait à la fois partie du quintet de Joachim Caffonnette ("Simplexity"), du trio de Vincent Thékal ("Climax"), du quartet Saying Something et on l'a entendu dernièrement dans un hommage à René Thomas, en compagnie de Quentin Liégeois.
Enfin, à la clarinette alto et clarinette basse, une des révélations de la scène parisienne actuelle: Matteo Pastorino. Né en Sardaigne en 1989, il a rejoint la France à 19 ans pour poursuivre ses études au Conservatoire de Paris, notamment avec Pierre Bertrand, le leader du Paris Jazz Big Band et, grâce à une bourse, a pu étudier aux Etats-Unis avec Chris Potter. Avec le pianiste Nicola Andrioli, il a enregistré l'album "Les Mongolfières" et "Paper Plane", avec l'organiste Julian Getreau et le trompettiste Nicolas Folmer. A son nom, il a enregistré l'album "V" (Absilone, Socadisc), une série de compositions originales, en compagnie d'un excellent trio rythmique emmené par le pianiste Matthieu Roffé (album chroniqué dernièrement sur jazz'halo.be).
Un mot sur le titre de l'album: "In other words I am three", phrase empruntée à l'autobiographie du génial contrebassiste, "Beneath the underdog". Pourquoi trois?
Mingus l'explique: "one man waiting to be allowed to express what he sees...the second man is like a frightened animal...then there is an over-loving gentle person...Which is the real? They're all real". Dans le livret de l'intrigant "Mingus Epitaph", il donne une autre explication, conforme à sa situation de métis: "Half black man, half yellow. Not even white enough to pass for nothing but black and not too light to be called white" (à ce propos, on peut se reporter aux articles parus en 1991, dans les numéros 19 à 23 de Jazz in Time).
Au répertoire de l'album, six compositions arrangées par Francesca Palamidessi et reprises à des disques d'époques différentes: Blue Tide d'un album de 1951, Eclipse de 1960, Sue's Change et Duke Ellington's sound of love de "Changes One" de 1975 ou Strollin' de "Nostalgia in Time Square" de 1980.
Plusieurs titres sont chantés, avec les lyrics d'origine, comme Blue Tide, Eclipse, Strollin', Duke Ellington's sound of love; à d'autres moments, Francesca Palamidessi utilise la voix - vocalises et scat - comme un instrument à part entière (la fin d'eclipse, Sue's Change, Strollin', avec des effets de voix en écho). La voix est constamment ondoyante et d'une fluidité limpide. Hendrik Lasure introduit très joliment Blue Tide et prend un très beau solo sur Sue's Change. En parfaite connivence avec la guitare et la contrebasse, Matteo Pastorino intervient, de manière autoritaire, tantôt à la clarinette alto (Blue Tide, Sue's Change), tantôt à la clarinette basse (Eclipse, Strollin').
Un projet parfaitement abouti qui peut toucher un large public.
Claude Loxhay