GAUME JAZZ: les 10, 11 et 12 août 2018

L’art de Lars, l’esprit de Rabih et les quarante printemps d’IGLOO


Une affiche qui a tenu toutes ses promesses : le "Gaume Jazz" a une nouvelle révélé, charmé et enthousiasmé.

C’est sous le soleil que le Rossignol a chanté pour la 34e fois devant un public de plus en plus nombreux. Festival sans noms ronflants à l’affiche, le "Gaume Jazz" s’est forgé une réputation tissée de multiculturalité, de découvertes de nouveaux talents, d’ouverture à la jeune génération et aux artistes hors circuits commerciaux. La recette attire chaque année un public curieux, ouvert et familial, la place aux jeunes par l’intermédiaire des stages constituant un des piliers de l’événement.


En ouverture, la place est laissée au guitariste Julien Tassin sur la scène du parc : influencé par le blues, le rock et l’improvisation jazz, le trio multiplie les couleurs et les énergies devant un public conquis.

Sous le chapiteau, la rencontre entre deux formations du Collectif du Lion tient toutes ses promesses : Trio Grande et Rêve d’Eléphant se font et se défont sur le répertoire de Pierre Bernard - Mon Eléphant et son tempo chaloupé et Le Sacre de l’Eléphant - et de Michel Massot avec un sublime Roche Colombe et Kakouline. La cohésion, résultat d’années de collaboration, est soufflante, les trois percussions, loin de saturer la musique, apportent fraîcheur et ouverture. Trio Grande est plus que jamais une référence d’un jazz contemporain mais accessible, l’humour de Laurent Dehors s’ajoutant à ses facultés de multi-instrumentiste : guimbarde, bignou, clarinettes et sax ténor colorent sans arrêt les compositions.



Dans une formule trio, le oudiste libanais Rabih Abou-Khalil, maître de la fusion des cultures, présente la musique de son prochain album: la cohésion est impressionnante entre le oudiste et ses partenaires fidèles Luciano Biondini à l’accordéon et le percussionniste Jarrod Cagwin, virtuoses des tambourins et des cymbales – qui pour la petite histoire, s’étaient égarées entre Barcelone et Bruxelles avant de réapparaître en dernière minute ! Si le jeu de Rabih Abou-Khalil est plein d’énergie et de rythme, et ses commentaires plein d’humour, la place est aussi laissée à la réflexion avec Dreams of A Dying City, hommage à la ville de Beyrouth.

Une carte blanche à Michel Massot, ça ne pouvait en aucun cas être banal ! Et ça ne le fut point ! Deux violoncelles – Marine Horbaczewski et Annemie Osborne – plus une violoniste, un clarinettiste Rudy Mathey, Célestin Massot aux percussions et au piano, et le compositeur aux tubas et trombone, une équipée inédite pour mettre en place  en trois jours de répétition les compositions de Michel Massot. Une musique très écrite, des mélodies parfois très contemporaines ou aux accents baroques, mais desservie par des problèmes de retour sur scène et le peu de temps pour rendre la musique plus libre : "C’est un peu pour cette raison que j’ai ajouté Lonely Woman d’Ornette Coleman au programme; le morceau est connu de tous et a permis aux musiciens de profiter d’un espace de plus de liberté pour s’exprimer" dira Michel après le concert. Ce Lonely Woman rappelait aussi Trio Bravo qui avait ce thème dans son répertoire.


Le Festival était aussi cette année marqué par les 40 ans du label IGLOO. Fidèle partenaire du "Gaume Jazz" depuis sa création, le label présentait quelques-unes de ses récentes sorties. Dans l’église de Rossignol, le duo de la chanteuse Raphaëlle Brochet et du contrebassiste Philippe Aerts a littéralement conquis le public. La maîtrise vocale exceptionnelle de la chanteuse sur tous les répertoires est quasi affolante !  Thèmes brésiliens, Waltz for Debby, un sublime Spring can really hang you up the most et un Giant Steps qui ne se révèle que dans les dernières mesures avant le Joy de Stevie Wonder, un moment de grâce du festival! Quant à l’écoute pleine d’invention du contrebassiste Philippe Aerts, elle n’est plus à démontrer depuis longtemps, miracle de l’écoute mutuelle, des regards croisés et de l’empathie complète.

Le concert du Quartet d’Eve Beuvens allait tout autant enchanter la trop petite salle, bien que cette configuration permette aussi de profiter pleinement de l’acoustique du lieu et de sa chaleur. Entourée de ses partenaires suédois parfaits de bout en bout, la pianiste a joué le programme d’un tout prochain cd qu’on attend avec impatience : entre la douce et belle mélodie de Did you Find Your Happiness ? et l’énergie d’une pièce comme Tucko tout aussi accrocheuse à l’oreille, que choisir dans un répertoire superbement équilibré et qui révèle le jeu de plus en plus personnel de la pianiste ? Mikael Godée propose aussi une composition, Lacy, qu’il entame par une intro en solitaire alors qu’ Eve Beuvens la clôture par un tout aussi prenant solo… Un concert qui restera dans les grands souvenirs de l’édition 2018.

On connaissait déjà Lars Danielsson à Rossignol : son troisième volet de Liberetto l’amenait une nouvelle fois sur la scène gaumaise. Dans un chapiteau archicomble, le contrebassiste développait tout son art de la nuance avec un solo sur une composition de Joni Mitchell Both Sides Now et en privilégiant l’espace pour ses remarquables accompagnateurs Gregory Privat, Magnus Öström et John Parricelli.



La journée de dimanche
débute dans un tout autre style.

Au départ, un trio, celui des frères Rémi et Nicolas Fox, saxophoniste et batteur, associés au pianiste Matthieu Naulleau, un trio qui a déjà marqué de son originalité plusieurs concours en France. La chanteuse Suédoise Linda Olàh est venue s’ajouter au trio il y a un an. Du coup, le répertoire a changé et la mécanique du trio a donné naissance à une formule à haute valeur créative. Ce qui semble être une improvisation débridée résulte toutefois d’un travail précis sur les sonorités, les effets d’ensemble qui font de ce groupe un étonnant ovni musical. La musique passe du vaporeux à la densité la plus puissante, le pianiste créant l’impulsion sur une rythmique acerbe et hypnotique, le sax créant un souffle qui se superpose à la voix étonnante de Linda Olàh. Un univers contemporain qui a accroché le public gaumais de bout en bout.




Qu’attendait-on de "Delta", la musique du quartet d’Igor Gehenot ? Sinon l’excellence, et pas de surprise : un grand concert de néo-bop avec des solistes de classe internationale. Un premier thème, Moni, très enlevé histoire de monter la température si besoin était (il faisait chaud ce dimanche !), et la pression était maintenue avec Starter Pack, puis la tendre ballade d’Alex Tassel Johanna qui s’enflamme dans l’enchainement avec un solo d’Igor qui rappelle l’influence de Kenny Kirkland. Un standard aussi, plus dans l’esprit de Miles Davis que de Chet Baker avec My Funny Valentine entamé par un solo absolu au bugle et conclu par Igor avec élégance. Un petit clin d’œil à l’album Motion avec Jaws Dream avant le bis Sleepless Night pour clôturer un concert sans faille. Voilà une formation qu’on souhaite revoir au plus tôt tant le set a été enthousiasmant.

La pléthore de concerts du "Gaume Jazz" impose des choix et forcément, on n’échappe pas au sentiment de culpabilité de négliger tel ou tel artiste, voire de frustration après coup: il restait un petit papillon numéroté pour entrer dans la petite salle qui n’accepte que 160 spectateurs et ça permettait d’entendre la fin du concert de Barbara Wiernik et Nicola Andrioli, le temps de profiter d’une douce composition du pianiste et d’un tout nouveau thème Storm is Coming qui met particulièrement bien en évidence la superbe voix et le sens des nuances de Barbara.

On attendait cet improbable croisement de genres avec la performance d’Emile Parisien et du DJ électro de Detroit Jeff Mills. Annoncé comme un hommage à John Coltrane, le concert en a bien pris le chemin avec un Giant Steps quasi méconnaissable en ouverture, puis Naïma dont le thème est initié par le DJ. Pas du tout l’orgie sonore qu’on craignait, mais un concert tout en douceur où de manière inattendue, les parties mélodiques venaient le plus souvent de l’électronique alors que le sax-soprano s’envolait sur de folles improvisations.


La saturation d’une journée de musique débutée à 11 heures le matin avec le concert en solo de Manu Hermia sur le site du musée d’art contemporain de Montauban – avec la participation d’un danseur sur la deuxième étape du parcours – et la fatigue de ces trois jours d’une densité importante, font que j’ai abandonné Emile et Jeff en milieu de concert, non par manque d’intérêt, mais le corps a ses limites que même la belle musique ne peut dépasser !

Qu’ajouter si ce n’est d’écrire que ce fut une nouvelle fois une des plus belles éditions du festival… jusqu’à l’année prochaine.

Texte © Jean-Pierre Goffin  -  photos © Hugo Lefèvre


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