Deux saxophone-trios:
Various
Intakt Records
Trio 3: A. Cyrille - R. Workman - O. Lake: Visiting Texture
Eskelin-Weber-Griener: Sensations of tune
Sur le label Intakt, voici deux trios différents articulés autour d'un saxophone, deux approches de cette formule sans instrument harmonique.
D'abord, Trio 3 autour du saxophone alto d'Oliver Lake, un grand nom de la loft generation et du free. Co-fondateur du World Saxophone Quartet, avec David Murray, Julius Hemphill et Hamiet Bluiett (dernier album: Political Blues), Lake est aussi au coeur de Trio 3, en compagnie du batteur Andrew Cyrille et du contrebassiste Reggie Workman.
Le premier, né en 1939, a côtoyé Cecil Taylor, Jimmy Lyons, David Murray ou Carla Bley mais aussi l'Allemand Peter Brotzmann et a joué avec le groupe belge Bambi Pang Pang de Viktor Perdieus. Le second, compagnon de route de Coltrane, a aussi joué avec Pharoah Sanders, John Tchicai ou Wayne Shorter.
En-dehors des albums à trois, Trio 3 a aussi souvent invité des pianistes à rejoindre la formation: Geri Allen (At this time), Jason Moran (Refraction) ou Vijay Iyer (Wiring).
Le répertoire de Visiting Texture est constitué de 3 compositions d'Oliver Lake, 2 d'Andrew Cyrille, une de Reggie Workman, une compo/impro collective (Composite) ainsi que A Girl named rainbow d'Ornette Coleman (la pièce la plus mélodique de l'album): l'occasion de "visiter" différentes "textures", de retrouver la sonorité tranchante de Lake, sa faculté à canaliser toute l'énergie du free dans des compositions très structurées, mais aussi la virtuosité de Workman, alliant sens mélodique et rythmique (écoutez notamment la longue intro, mélange de pizzicati et de jeu à l'archet, sur Epic man) ainsi que la pulsation énergique que Cyrille imprime au trio, en privilégiant notamment la grande cymbale (écoutez le solo de 7 for Max, en hommage à Roach). Les papys du free font de la résistance.
L'autre trio rassemble des musiciens d'une autre génération. Au saxophone ténor, Ellery Eskelin. Révélé par son trio en compagnie d'Andrea Parkins (acc) et Jim Black (dm), il a aussi formé le Trio New York, avec Gary Versace à l'orgue Hammond, a fait partie de Joey Baron's Baron Down et côtoyé Dave Liebman comme Han Bennink. Avec Jozef Dumoulin, il a formé le Red Hill Orchestra.
A la contrebasse, Christian Weber qui a joué avec Hans Koch (cl), Michel Wintsch (p), Paul Dunmall (ts) ou... Oliver Lake. A la batterie, Michael Griener qui a côtoyé la crème des musiciens de l'ex-Allemagne de l'Est: Ernst-Luwig Petrowsky (as), Uschi Brüning (voc) ou Ulrich Gumpert (p) mais aussi Rudy Mahall (cl).
Ce trio a été constitué en 2011, à Zurich, à l'invitation de Weber, s'est produit au festival de Willisau puis à New York: Sensations of tone a été enregistré à Brooklyn.
Alors que les concerts suisses étaient totalement improvisés, ce nouvel album confronte des compos-impros collectives à des reprises décalées de thèmes du passé: Shreveport Stomp de Jelly Roll Morton, China Boy popularisé par Armstrong, Bechet ou... Parker, Moten Swing de Bennie Moten et repris par Count Basie ou Ain't Misbehavin', succès de Fats Waller repris par Billie Holiday comme Django ou Miles.
L'occasion de voyager au travers de l'histoire du jazz mais aussi, comme l'indique le titre de l'album, inspiré d'un texte de Hermann von Hemholtz étudiant la perception du son, une façon d'explorer les limites de la dissonance, d'intégrer le bruit dans le paysage sonore. On retrouve la sonorité déchirée d'Eskelin, la primauté de l'acoustique chez Weber (pas d'amplification de la contrebasse), la flexibilité de Griener à la batterie.
Deux façons d'envisager cette formule du saxophone-trio.
Claude Loxhay