Deux CD's avec Miklós Lukács
Various
BMC
Voici deux albums du Budapest Music Center qui mettent en valeur un instrument traditionnel hongrois, le cymbalum, surnommé parfois le "piano tzigane": une cithare sur table dont les cordes sont frappées à l'aide de mailloches et non pincées comme c'est le cas de la cithare sur cadre (rappelez-vous le légendaire Anton Karas, auteur de la musique du film Le Troisième Homme).
Miklós Lukács/Larry Grenadier/Eric Harland: Cimbalom Unlimited
Miklós Lukács, qui fait voltiger ses mailloches avec une dextérité étonnante, est un véritable virtuose de cet instrument: les fidèles du regretté festival Jazz Brugge se rappeleront son impressionnant concert en duo avec le pianiste Béla Szakcsi Lakatos en 2008.
Né en 1977, Miklós Lukács a poursuivi ses études au Conservatoire Béla Bartok de Budapest et réalise un parfait mariage entre héritage classique, tradition tzigane et jazz. S'il a enregistré avec de nombreux musiciens hongrois, comme le saxophoniste Mihály Dresch (album Strait Music), le pianiste Béla Lakatos (Check it out Igor) ou le saxophoniste Mihály Borbely (Meselia Hill); il a aussi croisé la route du trompettiste britannique Gerard Presencer, du saxophoniste français Christophe Monniot (This is C'est la vie), du vocaliste polonais Grzegorz Karnas (Vanga) ou de Charles Lloyd (Wild Man Dance).
C'est auprès du saxophoniste américain qu'il croise le contrebassiste Larry Grenadier et le batteur Eric Harland, exceptionnelle paire rythmique avec laquelle il vient d'enregistrer Cimbalom Unlimited: neuf compositions originales, huit gravées en studio, la dernière captée live à l'Opus Jazz Club de Budapest.
Parce que Lukács est porté par la vivacité inextinguible de la rythmique, c'est l'occasion de découvrir le côté virevoltant de ses compositions inspirées de la tradition tzigane (Balkan Winds, Peacock Dance, Act 3) mais marquées aussi au sceau d'un réel groove jazz. D'autres pièces plus mélancoliques adoptent un tempo plus lent, souvent amorcées soit par une intro de cymbalum opposant sonorités graves et sonorités cristalline (Lullaby for an unborn child, ou ce Dawn song, avec, par la suite, un très beau solo de contrebasse), soit par une intro de contrebasse (Somewhere, Aura ou ce Sunrise in Chennai introduit à l'archet).
Mihály Dresch Quartet (with Chris Potter and Mikós Lukács): Zea
Sur le deuxième album BMC, Zea, on retrouve Lukács au sein du quartet de Mihály Dresch, avec Chris Potter en invité de luxe.
Né en 1955, Dresch, qui lui aussi s'est produit au Jazz Brugge, est une des figures légendaires du jazz moderne hongrois, on le retrouve notamment sur les albums Sharing the shed, Strait Music ou ce Hungarian Be Bop enregistré avec Archie Shepp.
Mihály Dresch a rencontré Chris Potter en 2008, via l'épouse hongroise du saxophoniste américain: ils ont eu l'occasion de jouer ensemble, d'abord dans la maison que le saxophoniste hongrois possède près du lac Balaton, ensuite, en public. Ainsi est né cet album, Zea, qui vient de sortir chez BMC mais qui a été enregistré live, en 2012, lors du Festival Théâtre de Budapest.
Aux côtés des deux saxophonistes, on retrouve Miklós Lukács, Hock Erno (cb) et István Baló (dm). Au répertoire, Togo, une composition qu'Ed Blackwell avait écrite pour la formation Old and New Dreams, deux thèmes de Chris Potter (Zea, Free) et cinq plages sur lesquelles Dresch s'amuse à réunir différentes de ses compositions: de longues plages sur lesquelles chacun peut s'exprimer ad libitum.
Thème dansant aux allures africaines, Togo est introduit à la clarinette basse par Potter et par Dresch au fuhun, un instrument traditionnel à la sonorité proche de la flûte, pour se poursuivre par un solo ébouriffant de ténor. Pour Zea, on retrouve clarinette basse et fuhun, sur un tempo plus lent. Si sur Amott legel / Grazing Yonder (clarinette basse et soprano) et Hazafelé / Homeward Bound (deux ténors), le tempo est plutôt lent, le rythme devient vraiment virevoltant sur Legényes / Lad's Dance joué à deux ténors, sur Free qui unit ténor et soprano et sur Futás Miska / Get your skates on Mick, une mélodie dansante au caractère hongrois marqué, jouée au ténor et au fuhun.
Si les deux saxophonistes sont principalement mis en valeur, Miklós Lukács fait preuve de sa virtuosité, tant en contrechant des souffleurs que dans son solo sur Togo ou son intro de Zea.
Voilà deux productions exemplaires qui illustrent la vitalité de la scène hongroise actuelle, dans ce mariage très réussi entre héritage tzigane et tradition jazz qui lui assure une réelle originalité.
Claude Loxhay