Stan Getz 1959 - Live in Paris
S
Frémeaux & Associés
Voici donc un inédit de Stan Getz, "The Sound", un enregistrement réalisé à Paris en 1959 et publié chez Frémeaux et Associés, dans la collection Live in Paris initiée par Gilles Pétard. L'occasion d'un petit coup d'œil dans le rétroviseur.
Un document pour l'histoire du jazz mais aussi un témoignage à dimension sociologique qui illustre la dimension du jazz en Europe dans les années '50.
Les dix premières plages ont été enregistrées à l'Olympia: eh oui, à cette époque, le haut lieu de la variété française accueillait aussi des musiciens de jazz. En témoignent un album d'Art Blakey en compagnie de ses Jazz Messengers (Olympia Concert de 1959) et ce coffret de 2 LP de 1955: le concert du 15 octobre célébrant le disque d'or offert à Sydney Bechet pour le 1.000.000 disque vendu par Vogue. Un coffret avec les autographes de Sydney Bechet et ses acolytes Claude Luter et André Réwélioty. "Emeute à l'Olympia, titrait L'Aurore, 5000 fanatiques se sont rués à l'assaut de la salle qui ne pouvait en recevoir que 2800". "Plus fort que Gilbert Bécaud", titrait France Soir. "Sydney Bechet a provoqué hier à l'Olympia la plus belle émeute de sa carrière" proclamait Paris Presse.
Quant aux deux dernières plages de ce Live in Paris, elles ont été enregistrées au Studio Pyramides à Europe 1. Eh oui, à cette époque, les radios privées s'ouvraient largement au jazz. En témoignait l'émission Pour ceux qui aiment la jazz de Franck Ténot et Daniel Filipacchi, avec son célèbre indicatif, Blues March des Jazz Messengers, extrait d'un enregistrement réalisé au Club Saint Germain: une porte d'entrée vers le jazz pour tous les jeunes de l'époque.
Ce Live in Paris témoigne aussi d'une charnière dans la carrière de Stan Getz.
Après avoir fait partie de l'orchestre de Woody Herman et des Four Brothers, avec Zoot Sims, Jimmy Giuffre et Herbie Stewart, participé aux tournées de Jazz at the Philharmonic, dans les années '50, il a enregistré avec Dizzy Gillespie, Gerry Mulligan ou Lionel Hampton. Fin 58, il gagne Stockholm pour s'éloigner de certains problèmes rencontrés aux States. En 1962, il découvre la bossa nova: c'est sa période brésilienne.
Pour ce concert à Paris, il s'est entouré de deux Américains et de deux Français. D'un côté, Jimmy Gourley qui s'est installé à Paris depuis un petit temps: il sera bientôt le guitariste de l'organiste Lou Bennett (album Amen qui précède ceux gravés avec René Thomas).
Et l'aîné, Kenny Clarke, né en 1914, une des figures de proue de la révolution bop et qui s'est établi à Paris (il a même été le batteur de l'orchestre de Jacques Hélian, orchestre de variété jazzy qui comptait aussi dans ses rangs le trompettiste Ernie Royal).
De l'autre, Martial Solal, un musicien qui a révolutionné l'approche du piano. Né en 1927, comme Getz, il venait d'enregistrer en quartet avec Sadi mais aussi avec Sydney Bechet qui se dépatouillait là de sa coquille New Orleans.
Enfin, Pierre Michelot, le contrebassiste choisi par tous les musiciens américains de passage à Paris et qui formait avec Kenny Clarke la rythmique idéale.
Au répertoire, quelques classiques de la période bop (Yardbird Suite de Parker, Round about Midnight de Monk, The Squirrel de Tadd Dameron et Cherokee de Ray Noble), des standards (All the things you are, Lover Man) mais aussi, signe d'un tournant vers le style cool, des ballades (Softly as a Morning Sunrise, Tenderly, Over the Rainbow) qui se rapprochent de la sonorité ouatée qu'il aura plus tard, avec son quartet réunissant Gary Burton, Steve Swallow et Roy Haynes ou le sublime People time gravé avec Kenny Barron.
L'enregistrement live permet à chacun de s'exprimer ad libitum: par exemple, Jimmy Gourley et Kenny Clarke sur Cherokee et surtout Martial Solal, le plus révolutionnaire de l'équipe, qu'on entend en trio sur Lover Man avec délicat jeu de balais de Kenny, sur The squirell et sa composition Special Club. Une équipe idéale pour ce carrefour entre bop et style cool.
Un petit retour en arrière salutaire.
© Claude Loxhay