Ron Miles - I AM A MAN
R
Yellow Bird / Outthere Records
Le même jour dans ma boîte aux lettres: le n°218 du «Hot House», mensuel de la Maison du Jazz de Liège et son éditorial de la plume de Jean-Pol Schroeder. Jazz et politique: l’auteur y fait référence au «Strange Fruit» de Billie Holiday, au texte de Mingus sur le sénateur Faubus, au «Mississippi Burning» de Nina Simone, à «Alabama» de Coltrane, à Archie Shepp et aux mouvements blacks … Et puis aussi dans la même boîte : «I AM A MAN», le nouvel enregistrement de Ron Miles, le trompettiste ici exclusivement au cornet.
«I AM A MAN» fait référence aux ouvriers de Memphis qui prirent cette phrase comme slogan en 1968 après la mort de deux d’entre eux, noirs, tués par à cause d’un camion-poubelle mal entretenu. «I AM A MAN» contient pour Ron Miles une force importante dans l’Histoire des droits civils aux USA, et s’inscrit comme un nouveau cri, une nouvelle force pour rappeler non seulement le passé, mais aussi et peut-être surtout la persistance de l’horreur au XXIe siècle dans l’Amérique de Trump.
Pour ce deuxième album à son nom, Ron Miles réunit un «all-stars» d’envergure : Brian Blade à la batterie, Bill Frisell à la guitare, Thomas Morgan à la contrebasse et Jason Moran au piano.
A priori, le genre de groupe dont on pourrait se dire qu’il est construit sur des noms ronflants, mais dont on n’attendra rien de transcendant. Et bien détrompez vous! Voilà un album où le blues prend tout son sens, pétri d’humanité où on sent les cinq musiciens impliqués dans la profondeur du propos : Ron Miles n’y déchire pas le son du cornet, mais le rend profondément humain, Jason Moran n’a sans doute jamais aussi bien joué le blues, et que dire de Bill Frisell, touchant et juste de bout en bout.
Les sept plages, aux titres souvent évocateurs («revolutionary congregation», «darken my door», le splendide final «is there room in your heart for a man like me ?») sont tous de la plume de Ron Miles, une plume non pas trempée dans la rage, mais dans la dignité humaine revendiquée depuis si longtemps par le peuple noir.
Tout ceci rend cet album doublement recommandable.
© Jean-Pierre Goffin