Rodolphe Lauretta - Raw
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Onze Heures Onze
Le saxophoniste Rodolphe Lauretta présente, sur le label Onze Heures Onze et cela grâce, en partie, à la plateforme de financement participatif KissKissBankBank, son premier album en trio, Raw, soit "brut", comme un matériau pur, non traité.
Le jeune saxophoniste français est un bel exemple de multiculturalité: un père martiniquais, une mère guyanaise, une approche du saxophone en autodidacte, une participation au groupe de reggae Ouroub mais aussi la découverte de Kind of Blue de Miles et d'Outward Bound, le premier album d'Eric Dolphy.
Né à Amiens, Lauretta fréquente assidûment le festival de jazz organisé par la Maison de la Culture picarde: il participe à une masterclass du saxophoniste David S. Ware, rencontre Craig Taborn et Steve Coleman qui enregistre, à l'époque, pour Label Bleu. En parallèle à ses études d'anglais à l'université, il suit des cours au Conservatoire d'Amiens et traverse la France des festivals d'été: Nice, Juan, Vienne, Marciac.
Dans les années 2000, il s'installe en banlieue parisienne, s'inscrit au Conservatoire de Montreuil, rencontre Archie Shepp avec qui il prend des cours d'histoire de la musique afro-américaine, fréquente les clubs de la ville lumière, du Sunset au New Morning et devient artiste résident au Bab Ilo où il rencontre Alain Jean-Marie, aux racines guadeloupéennes, un peu comme lui. Il devient aussi membre du Kellin' Kelin' Orchestra du batteur camerounais Brice Wassy et, tout autant attiré par la tradition jazz que l'univers du hip hop, il fonde le sextet The Jazz Side of Madlib, en hommage à ce producteur/artiste hip hop américain, grand admirateur de Sun Ra.
Enfin, en 2016, il fonde le trio Raw.
A la contrebasse, Damien Varaillon, un pur produit jazz qui a joué avec le trompettiste Nicolas Folmer, le flûtiste Magic Malik et participe au projet Modigliani du clarinettiste sarde Matteo Pastorino.
A la batterie, Arnaud Dolmen, musicien d'origine guadeloupéenne qui a joué avec le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart et la flûtiste Naïssam Jalal et est un spécialiste du ka, tambour traditionnel guadeloupéen.
Au répertoire, à l'exception du classique Softly as a morning sunrise, dont on se rappelle les magnifiques versions de Coltrane et de Dolphy, neuf compositions originales, de Get Started à Chick's riddle, et un Remix de Get Started, interprété, avec recours à un rerecording démultipliant saxophone et voix, en compagnie du rappeur Theorhetoric, déjà présent dans le projet Jazz Side of Madlib.
Une musique qui oscille entre fougue impétueuse et lyrisme intériorisé.
L'album s'ouvre sur les chapeaux de roue avec Get Started: figures répétitives d'un alto volubile, galvanisé par le groove énergique de la batterie. Sur Vert Sang, Big Feel ou Shed Life, on retrouve les mêmes envolées fiévreuses du saxophone, avec une batterie toujours mise en avant.
Avec un même sens du groove, Chick's riddle se développe sur un rythme tournoyant, tandis que sur Rêverie, avec une belle intro lyrique de contrebasse, le rythme s'apaise.
Sur Réminiscences, après une autre intro de contrebasse, l'alto dialogue avec la voix ondoyante de Charlotte Wassy, la fille du batteur camerounais qui a été révélée par son album Niam.
Enfin, sur Clave, Rodolphe Lauretta est rejoint par Olivier Laisney, trompettiste qui a poursuivi ses études au Conservatoire de Paris: une intro jouée en duo alto-trompette, suivie par de beaux solos des deux instruments.
Un coup d'essai parfaitement transformé: un jeune musicien aux références multiples mais à la personnalité bien affirmée.
Claude Loxhay