Michel Petrucciani - One Night in Karlsruhe
M
SWR/JAZZ HAUS (distribution Outhere Records)
Le début de l’été 1988 laisse dans mon esprit deux souvenirs marquants. Le premier est lié au concert de Jacques Pelzer sous un chapiteau pour les fêtes de la Musique à Liège : étreint par l’émotion, la voix tremblante, le saxophoniste dédiait son concert à son ami Chet Baker disparu à peine un mois plus tôt.
Le second se décline en trois temps. Le premier se déroule au même endroit, le même jour, Michel Petrucciani donne un magnifique concert en trio. Le deuxième et le troisième temps voient le même Petrucciani sur la Grand-Place de Bruxelles, quelques jours plus tard, avec Gary Peacock et Roy Haynes : les yeux et les oreilles étaient comme au paradis, enfin ce que je pense être le paradis. Et quelques jours plus tard, au North Sea Jazz Festival de La Haye, le même trio se produit dans la Van Gogh Zaal, pleine comme un œuf. Un concert en deux parties, les spectateurs de la première refusant de quitter la salle pour laisser place à la foule qui faisait la queue dehors pour profiter du second set. J’avoue avoir été parmi ceux qui égoïstement voulaient encore profiter de ce moment de béatitude.
Alors qu’aujourd’hui ce concert de Karlsruhe sorte vingt ans après la disparition de Michel Petrucciani et trente après cette triplette fantastique, vous vous doutez l’effet que ça me fait avant même de déposer la galette sur le lecteur ! Avec ces musiciens de légende que sont Roy Haynes et Gary Peacock – je ne vous ferai pas l’injure de lister les géants avec lesquels ils ont joué ! – Michel Petrucciani est dans une forme absolue et l’envie de JOUER est de tous les instants, le pianiste n’attendant pas la fin des applaudissements avant d’entamer le thème suivant ! ça nous change de qui vous savez… à qui il rend d’ailleurs hommage dans une de ses compositions.
Cinq compositions personnelles, toutes sur l’album studio Blue Note, et cinq standards et pas n’importe lesquels, jugez : « There Will Never Be Another You » emballé avec une énergie folle, « In A Sentimental Mood » - l’amour du pianiste pour Ellington -, « Embraceable You », « Giant Steps » au tempo d’enfer et « My Funny Valentine » - Petrucciani ne présente pas le morceau, mais on peut penser à un hommage à Chet Baker.
Quatre-vingt minutes de bonheur à se passer et repasser ad lib.
© Jean-Pierre Goffin