Martial Solal - Coming Yesterday (cl)
M
Challenge RecordsI Int.
Live at Salle Gaveau 2019
Un soir de janvier en 2019, Martial Solal retrouve la Salle Gaveau, une salle qu'il connaît bien: il y a notamment enregistré Jazz à Gaveau, en 1962, avec Guy Pedersen et Daniel Humair. Une salle pour laquelle il a composé Gavotte à Gaveau pour l'album Piano Jazz, en 1962. Cette fois-ci, il s'agit d'un concert solo, propice au grand vertige des improvisations, une configuration à laquelle il est habitué, en témoigne toute une série d'albums: de Himself en 1974, Nothing but piano en 76, The Solosolal en 79, Martial Solal improvise pour France Musique en 94, Solitude en 2007, Live at Village Vanguard en 2008, jusqu'à My one and only love en 2018.
Mais ce concert, heureusement enregistré par Radio France, a quelque chose de particulier, il s'agit d'une sorte d'adieu au public: "When I walked onto the stage on January 23, 2019, I did not know that I would decide not to play piano anymore after this concert, more than seventy years after my debut." (texte de pochette). Plus loin, il s'en explique: "For me, jazz remains that of the twentieth century, that one that saw the birth of New Orleans, middle jazz, be-bop and free jazz. The first three of these jazz eras were built on ternary rhythms. Charlie Parker may have been the first to use sixteens notes on a medium tempo, abolishing the necessity of this permanent balancing called swing, that has disappeared in this form with the emergence of binary rhythms and phrasing. This style of rhythm on longer corresponds to what I considered essential. I prefer a greater freedom, playing on the melting keys, rhythms, duration, style, rather than on the forced slavery of the new "ones". Great freedom requires a lot of work, I've done my share."
Ici, au programme, évidemment, une série de standards, de I can't get started à My funny Valentine ou Have you met Miss Jones, un répertoire inépuisable qu'il aime revisiter, pour y trouver, à chaque fois, des inspirations nouvelles qui illustrent son sens de l'improvisation: "so many years of improvisation, of creation, based on what are called standards, which I call pretexts, challenges, essay topics that you can develop in a thousand and one ways according to the evolution that arise in your mind" (texte de pochette).
A côté de ces classiques, deux compositions personnelles, Coming yesterday qu'il avait joué notamment sur l'album Suite for trio, avec NHØP et Daniel Humair en 1978, et Sir Jack qui figure sur My one and only love de 2018, mais aussi un Medley Ellington; un univers qu'il a souvent exploré, de Plays Ellington en 1975 à Dodecaband plays Ellington de 2000.
Un concert de Solal, c'est comme une grande randonnée, à la découverte de paysages nouveaux, hors des sentiers battus. Parfois, on peut avoir l'impression de s'être perdu, mais non, on retombe à chaque fois sur le thème, toujours sous un angle nouveau. C'est ainsi qu'on découvre toute la science technique du pianiste né à Alger, une technique qui repose sur une grande indépendance des deux mains, ce qui lui permet de conjuguer ruptures de rythmes, variations harmoniques et mélodiques. Certains ont pu y trouver un aspect cérébral, une forme d'intériorité repliée sur elle-même, à l'inverse d'un Joachim Kuhn tout en extériorité et véhémence.
Mais c'est oublier un aspect de l'univers de Martial Solal: un sens évident de l'humour, présent notamment dans ses titres en forme de jeux de mots: Thèmes à tics (Solal 1960), Averty c'est moi (Piano Jazz, 1962), Thé pour trois (En direct du Blue Note 1966), Cygne d'Etang (Triangle, 1995), L'oreille est hardie (In & out, 1999). Mais aussi, dans cette façon de saisir au bond un thème populaire, connu de tous, pour l'explorer dans tous les sens: imaginait-on improviser sur Happy Birthday ou présenter, sous le titre Sir Jack, toute une série de variations autour de Frère Jacques.
Cet album reflète tout le génie d'improvisation d'un musicien dont la réputation dépasse toute l'Europe pour enthousiasmer l'Amérique comme l'ont prouvé les albums Newport en 1963 ou Live at Village Vanguard en 2008, ainsi que ses rencontres avec Johnny Griffin, Paul Motian, Gary Peacock ou Marc Johnson.
© Claude Loxhay
Une collaboration JazzMania/Jazz’halo