Louis Sclavis, deux fois: "Asian Fields Variations" et "Loin Dans Les Terres"
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ECM/Newartsint & intuition/Newartsint
Avec Michel Portal, Louis Sclavis a replacé la (les) clarinette(s) au centre du jazz.
Si le be-bop avait délaissé l’instrument, Portal et Sclavis allaient en faire une des pièces centrales du nouveau jazz européen. Européen mais voyageur, jazz mais contemporain, les pistes explorées par Sclavis touchent au cinéma, au théâtre, au voyage, l’Orient ou l’Afrique étant souvent sources d’inspiration (« Chine », « Carnet de Routes » avec « Suite africaine » et « African Flashback »). Sur les onze « Asian Fields Variations » de son dernier album (ECM/Newartsint), Louis Sclavis, accompagné de Vincent Courtois (violoncelle) et Dominique Pifarely (violon) parcourt les champs d’Asie au rythme de miniatures évocatrices et rêveuses, abstraites ou porteuses d’images, improvisées ou méticuleusement construites.
Avec « Loin Dans Les Terres » (intuition/Newartsint), Louis Sclavis revient au projet créé au « Rendez-Vous de l’Erdre » à l’été 2016. « Loin Dans Les Terres », c’est s’éloigner des racines à la recherche d’un jazz d’aujourd’hui sans complaisance ni référence si ce n’est du free jazz.
Pour ce concert présenté le jour de ses 64 ans au Theater Gütersloh en Allemagne dans le cadre de la série « European Jazz Legends », le clarinettiste reprend la rythmique du projet initial : Sarah Murcia à la contrebasse et Christophe Lavergne à la batterie, une paire fougueuse et créative qu’on a vue en Belgique il n’y a pas très longtemps avec le saxophoniste Sylvain Cathala.
Si Dominique Pifarely et le pianiste Benjamin Moussay entraient dans le projet initial, on entend ici le saxophoniste Sylvain Rifflet, bien connu chez nous pour ses duos avec le vibraphoniste Pascal Schumacher et qu’il sera urgent de découvrir dans son dernier opus « Mechanics » au Gaume Jazz Festival de l’été prochain, une galette auréolée aux Victoires de la Musique.
Six compositions de Sclavis à l'énergie par moments dévastatrice illustrent une autre facette de l’univers sclavissien (?) : un formidable « Wisdom » de quinze minutes donne immédiatement le ton et propulse vers l’avant une rythmique déchaînée ; thème colemanien que les deux souffleurs développent avec fougue contrôlée avant un solo absolu de Sarah Murcia.
Les thèmes suivants ouvrent des chemins aventureux et passionnants : suite de solos sur « Avant La Marche », le bien nommé « Des Bruits à Tisser » se développe sur la chaîne fixée par la basse et la batterie alors que la trame décore la pièce des solos de sax et de clarinette. Apaisante mélodie pour « Song For A. », retour aux sinuosités libres de « Jusqu’où ? » où les deux clarinettes chantent, pépient et caquettent avec frivolité.
« Loin Dans Les Terres » conclut ce palpitant concert d’un quartet inédit (il s’agissait de la première rencontre entre Louis Sclavis et Sylvain Rifflet) qui marque le retour du clarinettiste à ce qu’il appelle dans l’interview traditionnelle de cette collection un « jazz band » … qu’on espère voir sur scène chez nous au plus vite.
Jean-Pierre Goffin