Günter Baby Sommer « Le Piccole Cose » / Live at Theater Gütersloh
G
Intuition
Il y a vingt ans, mon Claude Loxhay écrivait avec sa précision habituelle une large présentation du percussionniste est-allemand pour sa venue au huitième « Festival Européen de Jazz et de musiques actuelles” organisé cette année-là sur le site champêtre du « Chardon » à Fallais dans la jolie campagne hesbignonne.
Il citait entre autres les multiples collaborations de Günter Baby Sommer : bien sûr le Zentralquartett, mais aussi Cecil Taylor, Peter Brotzmann, Albert Mangelsdorff, Gianni Gebbia ou Irène Schweitzer. A l’occasion de ce « Jazz au Chardon » consacré aux solo/duo, Günter Sommer – dit « Baby » pour son admiration envers le batteur de Louis Armstrong Baby Dodds – avait joué une première partie en solo puis une seconde en duo avec Sylvain Kassap, un de ses partenaires français préférés. De ce concert, je me souviens particulièrement du solo – « autant un spectacle pour l’œil que pour l’oreille », comme le disait Claude Loxhay – et de cette exubérance délirante avec l’utilisation de serviettes pour frapper les cymbales, de balles de tennis ou de ping-pong jetées aléatoirement sur les caisses. Le concert à Gütersloh m’a joyeusement rappelé ce grand moment de folie dès l’entame du premier morceau, une composition du trompettiste Manfred Schoof « Like Don » : Günter Sommer s’y lance d’emblée dans un solo échevelé émaillé de grognements de satisfaction non retenue. Car à aujourd’hui 73 ans, le batteur vit toujours sa musique avec une intensité incroyable et une théâtralité fascinante.
« Like Don » est bien sûr une allusion à Don Cherry, la pièce étant construite dans un esprit clairement colemanien. Voici un quartet qui rappellera celui formé fin des années septante par le batteur avec Manfred Schoof, Gianluig Trovesi au sax-alto et à la clarinette basse, Antonio Borghini remplaçant Barre Phillips du quartet d’origine. Sur « Inside Outside Shout » Günter Sommer crie, chante ou exulte, c’est selon, avec une force qui rappelle ses connections avec les sources africaines du jazz et la quête de liberté qu’il évoque en rappelant qu’en tant que musicien est-allemand, le mot « free » était évidemment à la liberté dans tous les sens du terme. On a donc sur cet album enregistré en public une musique bien dans la ligne de ce que Sommer nous a toujours offert : une fougue libératrice. « Mellow Mood » est aussi une pièce du trompettiste qui évoque le « Mood Indigo » de Duke Ellington. Seule composition de Gianluigi Trovesi sur l’album, « No Parietto » débute par un solo aux balais avec une partie chantée, avant que trompette et sax entre dans la danse free de cette pièce au tempo échevelé. Le concert s’achève sur trois compositions du batteur, la première le mettant particulièrement en avant (« Andartes »), la suivante en partie chantée et pour laquelle on peut se demander si on n’a pas oublié de signaler la participation d’une chanteuse ( « Marias Miroloi », tout comme « Andartes », extait d’un album de 2012 en hommage au village de Kommeno en Grèce, massacré par les soldats allemands). Apaisement final sur « Hymnus » avec ces accents de fanfares néo-orléanaise, du moins pour les souffleurs, car Günter Sommer se lance une dernière dans un foisonnement rythmique étonnant. Un album réjouissant qui rend hommage à ce grand batteur européen dans la série « European Jazz Legends » produite par la revue allemande « Jazzthing » et la WDR3.
Jean-Pierre Goffin