Emile Parisien Quintet feat. Joachim Kuhn - Sfumato
E
Act
On avait essentiellement découvert Emile Parisien au sein de son premier quartet. En compagnie de Julien Touéry (p), Ivan Gélugne (cb) et Sylvain Darrifourcq (dm), le saxophoniste originaire de Cahors et ancien élève du Collège de jazz de Marciac avait enregistré successivement Au-revoir porc-épic en 2006 (clin d'oeil au Goodbye pork pie hat de Mingus), Original Pimpant (2009), Chien Guêpe (2012) et Spezial Snack (2014). On l'avait aussi entendu avec l'accordéoniste Vincent Peirani, en duo (album Belle Epoque en 2014) et en quintet (Living Being en 2015).
En 2015, il avait reçu "carte blanche" au festival de Marciac pour constituer un quintet inédit. Au piano, un des maîtres du jazz contemporain, qui a croisé aussi bien Daniel Humair, Philip Catherine ou Heinz Sauer qu'Ornette Coleman, Archie Shepp ou Tony Malaby. La septentaine radieuse, Joachim Kuhn est toujours "pimpant" et foncièrement "original", comme l'a montré son trio en compagnie de Pharoah Sanders et Zakir Hussain au dernier festival du Middelheim. Pour le reste du quintet, trois anciennes connaissances. A la guitare, Manu Codjia que Parisien a croisé au sein du groupe Horizon de Gueorgui Kornazov (albums The Budapest concert et Sila). A la contrebasse, Simon Tailleu, ancien élève du Conservatoire de Paris qui a fait partie du groupe Newtopia de Raphael Imbert et a participé au projet Crossover Fantaisies de Vincent Peirani. A la batterie, Mario Costa que le saxophoniste a croisé au sein du groupe réuni par le contrebassiste portugais Hugo Carvalhais pour l'album Particula. Enfin sur quatre plages (Le clown tueur de la fête foraine I, II, III et Umckaloabo), Parisien a invité son complice Vincent Peirani ainsi que Michel Portal (bcl) qu'il a croisé à différentes reprises.
Au répertoire, 5 titres du leader, 3 de Kuhn dont le splendide duo Duet for Daniel Humair (une dédicace qui se justifie pleinement: le batteur suisse a été le pilier du trio de Kuhn et a rassemblé Parisien et Peirani pour Sweet and Sour) et il reprend Le clown tueur qu'il a composé avec les complices de son quartet: Touéri, Gélugne et Darrifourcq.
Tout au long de ce passionnant album, Emile Parisien exploite à merveille la sonorité incisive de son soprano et, chez Kuhn, on retrouve cette osmose parfaite entre un lyrisme exacerbé et une expressivité explosive: le sturm und drang des romantiques allemands. C'est le cas sur Poulp, avec cette déferlante de notes sur lesquelles les ponctuations tranchantes du soprano viennent se greffer mais aussi sur les tempos échevelés de Arôme de l'air ou Umckaloabo. D'autres compositions optent pour un tempo plus lent comme Préambule, avec ses allures d'hymne empreint de solennité et la guitare de Codjia en contrechant, tout en couleurs pastels: la texture lisse aux effets vaporeux du sfumato pictural. C'est aussi le cas de Brainmachine et Balladibiza, avec leur atmosphère mystérieuse, tandis que, sur les trois mouvements du Clown tueur, avec son intro d'accordéon, soprano et clarinette basse prennent des allures funambulesques comme dans certaines mélodies concoctées par Nino Rota pour Fellini.
De bout en bout, on est porté par cette musique riche en contrastes: un des meilleurs albums de cet automne.
Claude Loxhay