Daniel Erdmann - Christophe Marguet - Henri Texier - Claude Tchamitchian: Three roads home
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Das Kapital Records/ L'Autre Distribution
On connaît avant tout le saxophoniste allemand Daniel Erdmann au travers du trio Das Kapital, en compagnie de Hasse Poulsen (g) et Edward Perraud (dm): les trois complices ont enregistré différents albums dont Kind of red pour Label Bleu et Plays Eisler, dédié au compositeur autrichien qui a collaboré avec Bertholt Brecht: il faut rappeler que le saxophoniste natif de Wolfsburg a étudié, de 1994 à 99, au Conservatoire Hans Eisler de Berlin.
Le public belge a pu découvrir Erdmann lors de festivals: d'un côté, au sein d'une formule inédite de Mâäk, avec Laurent Blondiau et Jean-Yves Evrard, à Genk; de l'autre, lors d'un Jazz!Brugge en trio avec Vincent Courtois (violoncelle) et Robin Fincker (ts): un très beau concert. Avec ce trio, il a enregistré West et, toujours avec Vincent Courtois, en trio avec le guitariste Samuel Rohrer, il a gravé 10 songs about real utopia. Dernièrement, sur jazz'halo.be, on a pu aussi découvrir une chronique dédiée à un autre très bel album, au sein du trio Velvet Revolution, en compagnie du Français Théo Ceccaldi au violon et du Britannique Jim Hart au vibraphone (un album BMC).
Le voici en compagnie d'un des meilleurs batteurs européens, Christophe Marguet, aussi à l'aise sur les tempos enflammés que les ballades mélodiques: parmi les derniers albums chroniqués du Français, il faut rappeler Spirit Dance en quintet avec le contrebassiste Yves Rousseau, Old and new songs avec Yoann Loustalot ou For travellers only en quartet avec Sébastien Texier (as, cl), Manu Codjia (g) et François Thuillier (tuba). Erdmann avait déjà croisé Marguet à différentes reprises, notamment pour Special Relativity, avec Heinz Sauer, le saxophoniste du quintet d'Albert Mangelsdorff (Comblain dans les années '60) mais aussi pour l'album Together together!
La particularité de ce Three roads home tient au fait d'avoir convié deux géants de la contrebasse: d'une part, Henri Texier et son sens inné de la mélodie (faut-il rappeler que Marguet a croisé Texier au sein du Starda Sextet et du Nord Sud quintet?); d'autre part, Claude Tchamtchian, le contrebassiste du MegaOctet d'Andy Emler mais aussi de MikMâäk et leader de la formation Lousadzak. Erdmann a notamment croisé Tchamitchian pour l'album Traces que le contrebassiste français a enregistré avec François Corneloup (bs), Philippe Deschepper (g) et la vocaliste Géraldine Keller.
Différentes interconnections relient donc les quatre musiciens épris de rencontres nouvelles.
Les deux contrebassistes jouent ensemble sur quatre plages: A n'importe quel prix, Les Agnettes, Manif contre personne et One back two forward. Pour les autres titres, les contrebassistes se partagent la tâche: quatre titres pour Texier, quatre pour Tchamitchian.
Au niveau du répertoire original, la collaboration s'est aussi imposée aux quatre complices: cinq thèmes du saxophoniste (Ornette, Les Agnettes, Manif contre personne, Forever ephemere, One back two forward), cinq du batteur (A n'importe quel prix, Valse pour eux, Middle life, Summer colour, A pleasant serenity), un de Tchamitchian (L'ombre de l'eau) et le très sensible Don't buy ivory anymore de Texier, repris à l'album An Indian's week.
Sur les thèmes à deux contrebasses, parfois l'une est jouée en pizzicato effréné (Texier) et l'autre à l'archet (Tchamitchian) pour doubler la ligne mélodique du saxophone ténor (le très lyrique A n'importe quel prix, Les Agnettes avec un double solo, pizzicato puis archet, le tout clôturé par un beau passage ténor-archet à l'unisson); parfois, les deux contrebasses redoublent de vélocité en pizzicato sur des thèmes au tempo vif (One back two forward, Manif contre personne avec solo de batterie).
En trio avec Texier, les thèmes peuvent tout aussi bien être gorgés de swing (Ornette, Middle life) ou baigner dans une atmosphère mélancolique (le très beau Don't buy ivory anymore ou la ballade A pleasant serenity, avec un vertigineux solo en pizzicato puis une finale à l'archet.
En trio avec Tchamitchian, les ballades (L'ombre de l'eau, Valse pour eux) alternent avec des thèmes au groove galvanisé par la batterie comme ce Forever ephemere ou ce Summer Colour qui, après un passage à l'archet, propulse le ténor vers une véhémence aylérienne.
Que ce soit en trio ou en quartet, Daniel Erdmann développe sa sonorité âpre, parfois avec des accents rauques ou une véhémence free, parfois avec une douceur toute veloutée.
Voilà assurément l'un des meilleurs albums d'Erdmann galvanisé qu'il est par la vigueur de ses rythmiques françaises.
© Claude Loxhay