Cécile & Jean-Luc Cappozzo - Soul Eyes
C
Fou Records
Les fidèles de Jazz'halo connaissent bien, au travers des chroniques et d'une interview de 2014, Fou Records, le label de Jean-Marc Foussat, l'ingénieur de son qui coopère avec le festival Jazz Brugge: un label voué à la musique improvisée (électronique ou non) pure et dure, une musique destinée, diront certains, à un public "pointu". Et voilà que sort un duo, père et fille, consacré à quelques-uns des grands thèmes de deux icônes du jazz américain: Charles Mingus et Mal Waldron. Une surprise? Pas vraiment, si l'on regarde d'abord le parcours de nos deux duettistes.
Jean-Luc a débuté la trompette dans l'Harmonie de Belfort, comme les Italiens Pino Minafra ou Paolo Fresu ont d'abord joué dans des bandas, avant d'intégrer le Conservatoire de Lyon. Très vite, il a intégré différentes formations de l'ARFI (Association pour la Recherche d'un Folklore Imaginaire) dont est notamment issu Louis Sclavis qu'il retrouvera pour l'album "L'Affrontement des Braves". Il fait aussi partie, avec des membres de l'ARFI, Alain Gibert (tb) et Jean-Paul Autin (sax) du groupe Apollo. Il croise Joëlle Léandre à différentes reprises, rejoint Pentacle de la pianiste Sophia Domancich (festival Jazz Brugge) mais aussi le Globe Unity Orchestra pour fêter les 40 ans de la légende de la musique improvisée européenne. Il est aussi un véritable adepte de la formule en duo: avec Joëlle Léandre, Michel Godard, Géraldine Keller (chant), Umberto Petrin (p) ou Herb Robertson (tp).
Cécile, sa fille, a d'abord étudié le piano classique à Roanne avant de se tourner vers le jazz et la musique improvisée. Après son passage au Conservatoire de Saint-Etienne, elle se perfectionne auprès de Joëlle Léandre, Sophia Domancich mais aussi... Mal Waldron. Après s'être consacrée à la danse flamenca, elle a décidé de former un duo avec son père autour des musique de Mingus, Monk et Waldron.
Si les projets rapprochant les univers de Monk, Mingus et Ellington ne manquent pas (album de l'ONJ de Denis Badault, projet du Vienna Art Orchestra), réunir compositions de Mingus et Waldron est moins fréquent. Mal Waldron a pour tant fait partie de la formation de Mingus de 1954 à 59, enregistrant notamment avec lui "Pithecanthropus Erectus".
Si l'on se penche sur l'architecture de l'album, on se rend compte immédiatement que l'on reste dans le cadre de la musique improvisée. En témoigne la longueur des plages: 24 minutes pour la première qui réunit No More Tears de Waldron, Goodbye Pork Pie Hat et Nostalgia in Time Square de Mingus, 13 minutes pour la deuxième qui rassemble Soul Eyes du pianiste et Pithecanthropus Erectus du contrebassiste. Seule la troisième plage est dédiée à une seule composition: The Seagulls of Kristiansund, magnifique mélodie de Mal Waldron. Il ne s'agit pas de donner une énième version de ces thèmes archi-connus, d'exposer leur thème mélodique à partir duquel on peut se mettre à broder autour. Il s'agit de voir comment ces thèmes peuvent surgir, presque inopinément, au cours d'une improvisation, découvrir ce que chaque thème peut faire surgir comme images sonores, comment celles-ci s'imbriquent au fur et à mesure de l'improvisation. Ainsi une idée qui surgit brusquement d'un discours improvisé peut ramener au thème mélodique, et passer subrepticement de l'un à l'autre pour montrer ainsi les affinités électives qui les unissent secrètement. Un processus qu'avait imaginé Alexander von Schlippenbach pour son projet Monk Casino présenté au festival Jazz Brugge.
Tout au long de l'album, Cécile joint sensibilité et invention foisonnante, sens de l'écoute et réactivité spontanée en parfaite osmose avec les envolées du paternel à la trompette.
Une vraie leçon.
Claude Loxhay