Bex / Catherine / Romano - La Belle Vie (jpg)
B
Sunset Records/L’Autre Distribution
Trio de stars au coucher de soleil.
Un trio d’artistes, des vrais, qui ont un carnet de route comme on en trouve peu. L’histoire de Philip Catherine et d’Aldo Romano est faite de nombreuses collaborations dont certaines ont laissé une trace impérissable : il y a, bien sûr, « Pork Pie », mais aussi l’album du batteur « Alma Latina » en 1983, puis deux albums majeurs du guitariste, « Transparence » en 1986 et « September Sky » deux ans plus tard. Ensemble déjà, ils enregistrent « 3 Bex » en 1998. Romano et Bex sont quant à eux partenaires sur bien des projets dont le « Because of Bechet » de 2002. Dans les années 90, Bex, Catherine et Romano se rencontrent au « Sunset », rue des Lombards, un lieu où ils auront régulièrement l’occasion de jouer et où cet enregistrement est pris en direct lors d’un concert live.
Le partage est total, jusqu’à l’équilibre parfait entre les compositions, trois pour chacun. Celles proposées par Philip Catherine ont déjà donné d’autres versions : « Letter from my Mother » dédié à la sensibilité musicale de sa mère, « Twice a Week » qui date de l’époque du Berklee College de Boston, et « December 26th ». Dans ses choix, Aldo Romano rappelle son goût pour la littérature avec « Elsa », l’épouse d’Alberto Moravia qu’il fréquenta longtemps à Rome, avec « Il Piacere » aussi inspiré par la lecture du roman de Gabriele d’Annunzio. « Tompkins Square » évoque le souvenir de son premier séjour à New York. Quant à Emmanuel Bex, il évoque Maurice Cullaz qui a suivi le trio dès ses débuts au « Sunset. Il amène aussi sur le plateau « Tropisme » et « Dans la Forêt ». Ces trois pièces de l’organiste jouent sur la mélodie chantante des thèmes avec ce balancement constant comme bercé par une onde douce et mélancolique. Philip Catherine ajoute sur « Dans la Forêt » cette sonorité claire et légère qui fait penser à René Thomas, auquel on pense immanquablement aussi par la touche « Eddy Louiss » de l’organiste sur « Elsa ».
On ne peut pas parler de « reprises » quant aux trois compositions du guitariste. Certes, elles ont déjà fait l’objet d’enregistrements précédents, mais elles prennent de nouvelles couleurs et une chaleur toute particulière. Ainsi « Letter from my Mother »» qui débute tout en douceur, s’envole rythmiquement à mi-chemin et repart en claudiquant sur le solo d’Emmanuel Bex, un moment particulièrement jouissif de l’album. Ecoutez aussi avec attention le jeu tout en finesse d’Aldo Romano sur « December » lorsque le tempo s’envole. Le tempo medium de « Tompkons Square » clôture l’album avec une décontraction « à l’américaine », sorte de prétexte à la présentation des musiciens par Philip Catherine.
Avec un tel répertoire et pareils musiciens, une légère brise de nostalgie flotte sur ce concert d’où émergent une grande sensibilité, un sens mélodique profond et une humilité de tous les instants de la part de trois maîtres qui, si ils n’ont plus rien à prouver, démontrent que le jazz tient à ce qu’on a dans le cœur. Superbe, poignant même, je vous dis !
© Jean-Pierre Goffin