Argentieri-Borey-Tissot: Unitrio - Picasso
A
Fresh Sound New Talent
La majorité du public belge a certainement découvert Frédéric Borey au travers du quartet Lucky Dog fondé en 2013, en compagnie du trompettiste Yoann Loustalot, Yoni Zelnik(cb) et Frédéric Pasqua (dm): plusieurs concerts en Belgique, un premier album en 2014 et un deuxième enregistré live, il y a quelques mois, au Pelzer Jazz Club de Liège, un album à sortir sur le label Fresh Sound.
Mais l'activité du saxophoniste, diplômé des Conservatoires de Nancy et Paris, ne se limite pas là. Il a plusieurs albums personnels à son actif: Lines en 2010, The Option en 2012, Wink en 2015. Et le trio qu'il présente ici a été fondé en 2004.
A l'orgue Hammond B3, Damien Argentieri qui a d'abord étudié la musique classique au Conservatoire de Lyon avant de se tourner vers le jazz, notamment dans la classe du pianiste Mario Stantchev puis au Centre des Musiques Didier Lockwood. Il a notamment collaboré avec Sylvain Beuf (ts), Didier Lockwood (vl), Pierre Perchaud (g) ou notre compatriote André Charlier. Il a enregistré l'album Harvest, avec Sébastien Lanson à la guitare et Benoist Raffin à la batterie.
A la batterie, le Suisse Alain Tissot qui, lui aussi, a suivi des études classiques, au Conservatoire de La Chaux de Fonds, avant de se tourner vers le jazz, recevant notamment des leçons de Joey Baron et, parallèlement, de se consacrer à la composition: Entre deux bleus, Concerto pour vibraphone et orchestre, Concerto pour marimba et orchestre. En solo, il a enregistré Fabularium in secreto.
L'Unitrio a déjà à son actif deux albums enregistrés pour le label Altrisuoni: Page One de 2008 et Page Two de 2013.
Voici le troisième projet de ce trio orgue-ténor-batterie: Picasso.
Les trois complices ne sont pas les premiers à prendre pour inspiration l'œuvre du peintre cubiste: on peut citer l'album Picasso de Coleman Hawkins de 1992, Picasso Suite de l'octet de David Murray en 1993 ou, dernièrement, The Blue Shroud du contrebassiste et compositeur anglais Barry Guy, autour du mythique Guernica.
Le choix des trois musiciens et compositeurs d'Unitrio s'est porté sur cinq œuvres très différentes de Picasso: L'Acrobate de 1930, le cubiste Portrait de femme de 1943, le très engagé Massacre en Corée de 1951 (en écho à Guernica?), le très coloré Femme d'Alger d'après Delacroix de 1955 et La nouvelle ronde de la jeunesse de 1961, dessin très dépouillé qui rappelle certaines œuvres tardives de Matisse.
Chaque œuvre a inspiré les trois musiciens: Alain Tissot a composé la musique de La nouvelle ronde, Frédéric Borey celle de L'acrobate, Damien Argentieri celle de Massacre en Corée, tandis que Buste de femme comme Femmes d'Alger se présentent comme des suites en trois mouvements écrits par chacun des musiciens-compositeurs.
A travers ce projet, Unitrio "propose au public une approche singulière des œuvres de Picasso ici choisies: lire une toile en se laissant guider par les surlignages musicaux et voyager au cœur d'une musique en ayant sous les yeux la partition pictural, matrice originelle".
C'est aussi la démarche que suit le clarinettiste Matteo Pastorino avec sa Suite for Modigliani, inspirées de 8 toiles de l'artiste italien: chaque titre correspond non seulement à une œuvre, mais aussi à un moment de vie (Mama évoque le départ d'Italie, la mère patrie, à l'image de ce qu'a fait le clarinettiste sarde) ou à une thématique précise (Anima évoque la recherche de l'intériorité que dégagent les portraits de Modigliani). Ici, le rapport entre les œuvres choisies et la musique n'est pas toujours évident pour le public. Mais la musique se suffit largement à elle-même.
Unitrio propose une musique intelligemment construite qui s'inscrit dans toute une lignée hexagonale: Charlier-Sourisse (avec qui Borey a collaboré), Emmanuel Bex, ou mieux encore, Eddy Louiss et Bernard Lubat en compagnie de Stan Getz.
D'une part, chez Frédéric Borey, on retrouve cette sonorité ouatée, cette sensibilité lyrique, cette sérénité assumée qui a fait la renommée de Stan Getz.
A l'orgue, Damien Argentieri sait parfaitement allier ligne mélodique tissée par le clavier et ligne de basse soulignée par les pédales, combinant à merveille jeu des mains et des pieds (écoutez le solo du deuxième mouvement de Buste de femme).
A la batterie, Alain Tissot tisse une trame rythmique colorée et tout en nuances.
La plupart des thèmes s'ouvrent sur une atmosphère sereine puis le tempo s'anime, notamment sous l'impulsion colorée de la batterie (Buste de femme 3 ou Femmes d'Alger 1). Tantôt c'est le ténor avec sa sonorité veloutée qui introduit la mélodie (Buste de femme 1), tantôt c'est l'orgue (Femmes d'Alger 3), éventuellement avec un effet d'ostinato (La nouvelle ronde) pour déboucher sur une mélodie proche d'une ronde enfantine, tel que le suggère le dessin.
L'album se clôt sur Massacre en Corée avec un ténor volubile, sur un tempo beaucoup plus vif: un morceau en coup de poing qui illustre bien la toile.
Voilà une formation qui porte bien son nom: un trio parfaitement uni par une communauté d'inspiration.
© Claude Loxhay
Personnel:
Damien Argentieri - orgue
Frederic Borey - saxophone ténor
Alain Tissot - batterie
Tracklisting:
Buste de Femme
01. Vu par Alain Tissot 4:22
02. Vu par Damien Argentieri 5:34
03. Vu par Frederic Borey 6:01
La nouvelle ronde de la jeunesse
04. Vu par Alain Tissot 5:40
L’Acrobate
05. Vu par Frederic Borey 6:14
Femmes d’Alger d’après Delacroix
06. Vu par Damien Argentieri 5:48
07. Vu par Frederic Borey 5:23
08. Vu par Alain Tissot 5:55
Massacre en Corée
09. Vu par Damien Argentieri 2:53