Anouar Brahem - Blue Maqams
A
ECM/newartsinternational
Il y aura vingt ans en 2018 que sortait “Thimar” (sur le même label ECM), l’album qui a sans doute fait entrer Anouar Brahem dans la sphère jazz – plus peut-être que «Madar» de 1992 avec Jan Garbarek. Il y était entouré de deux musiciens britanniques: Dave Holland à la contrebasse dont l’aura à l’époque était grandement due à sa période avec Miles Davis; John Surman ensuite au sax-soprano et à la clarinette basse. Un énorme succès public et une question qui revenait souvent dans les interviews d’Anouar: quand reformerez-vous le groupe de «Thimar»? Dans la réponse, on sentait la grande envie du oudiste de revenir à cette formule.
Avec «Blue Maqams», le chemin est parcouru et de quelle façon. Non seulement Anouar Brahem retrouve Dave Holland, mais il invite un nouveau musicien britannique, le multi-instrumentiste Django Bates (dont le cd personnel vient de sortir et a été chroniqué sur ces pages).
La tentation était grande pour Anouar Brahem de reprendre François Couturier au piano, fidèle compagnon depuis trente-cinq ans, mais comme il le dit dans les liner-notes, «Ce projet me demandait de rompre avec mes habitudes et de m’aventurer vers d’autres territoires». Selon Anouar encore, le batteur Jack DeJohnette était incontournable : «Je voyais peu de musiciens en dehors de Jack Dejohnette capable de suffisamment de finesse et de subtilité pour adapter son style à la poésie de l’oud.»
Le décor est planté, celui d’un véritable «all stars» capable de la plus grande musicalité pour répondre au lyrisme du oudiste. Neuf compositions personnelles cette fois, un album inspiré à 100% par Anouar Brahem. La langueur arabe des albums précédents transparait dès les premières notes au point que lorsqu’intervient le piano, on pense un instant à François Couturier, le toucher est aussi subtil, léger, émouvant. On reste pantois à l’écoute de la sonorité aérienne de la contrebasse de Holland, précise et ronde à la fois, un mariage de tous les instants avec l’oud. Jack DeJohnette se glisse dans le paysage avec une grande finesse.
Si l’ambiance reste bien celle du oudiste tunisien, les pièces plus enlevées le voient attaquer les notes avec plus de véhémence et d’acidité. «Opening day» ouvre l’album sur une longue séquence où progressivement, oud, contrebassiste, batterie puis piano se mettent en place.
«Bahia», une pièce qui datent de 1990 et se trouve sur «Madar», évolue en un lancinant chant de l’oud où batterie et contrebasse tour à tour improvisent jusqu’à l’envolée du tempo dans les dernières mesures.
«La Passante» revient à une mélodie impressionniste introduite par Django Bates au toucher aérien, l’économie de notes du oud rendant les silences aussi parlant que la musique elle-même. «Bom Dia Rio», aussi une pièce plus ancienne, contient un groove quasi constant avec le rythme de la contrebasse qui soutient le jeu acéré de Brahem.
Le bien nommé «Unexpected Outcome» conclut l’album avec une force qui dépasse le jazz avec sa mélodie que ne renierait pas «Radiohead», on y entendrait volontiers les sonorités d’une guitare électrique/
Si Anouar Brahem a pris son temps pour revenir à une approche jazz de sa musique, l’attente en valait la chandelle, voici un des ses albums les plus enthousiasmants de ces vingt dernières années.
En concert à Bozar Bruxelles le 18 avril 2018.
Jean-Pierre Goffin
Personnel:
Anouar Brahem oud
Dave Holland contrebasse
Jack DeJohnette batterie
Django Bates piano