Premier album en solo de Tuur Florizoone, enregistré dans les circonstances qu’on connait, c’est peut-être une autre façon de découvrir l’accordéoniste Tuur Florizoone. Entretien.
Tuur, depuis vingt-deux ans, tu joues sur cet accordéon Bugari acheté en Italie et tu ne t’en lasses pas.
Tous les jours, je découvre une nouvelle facette de mon instrument. J’ai le privilège d’avoir une vie d’émotions que je traduis à ma façon en cherchant de nouvelles sonorités. Si il faut être démonstratif, ce n’est pas comme ça que je vois la musique, jouer du Bach comme exercice, ce n’est pas ma tasse de thé. Du coup, si je joue, il faut que le son surprenne. J’ai un deuxième accordéon, car il faut penser qu’un jour celui-ci deviendra irréparable, mais il lui manque encore mille choses. J’ai plusieurs réparateurs pour mon instrument, en Belgique, à Paris aussi, « La Boîte d’Accordéon » de Laurent Jarry, ou en Italie où je l’ai acheté. On me dit parfois que si je dois remplacer un clavier, ça me coutera le prix d’un nouveau, mais aucun nouveau n’a été domestiqué comme celui-ci, c’est un peu comme un chien, il faut des années pour le dresser.
Comment as-tu réalisé cet album ?
Comme les enfants étaient omniprésents pendant le confinement, je jouais la nuit ou alors, je me levais vers cinq heures. Je jouais vraiment ce qui sortait de mon instrument sur le moment. Je répète rarement, je ne suis pas le genre de musicien qui fait ses gammes régulièrement ; j’essaie que ce soit physique, trouver des nouveaux mouvements de doigts. Ce qu’on entend sur le premier morceau, par exemple, ce sont des accords avec la main gauche qui sont plus hauts que le registre avec la main droite, c’est comme jouer les mains croisées sur un piano.
« Night Shift » est composé de moments très mélodiques comme les deux uniques reprises de l’album, mais surtout de moments où le travail sur le son est important, des moments d’improvisation aussi.
Accordéon, ça reste accordéon, ça peut être fatigant pour les oreilles, c’est dans un registre un peu comme une trompette. Un morceau comme le Brassens dans un registre très doux, il fallait ça dans un programme solo, pour détendre l’atmosphère, tout comme le morceau de Raymond van het Groenewoud ou ce morceau que j’avais déjà joué « To Autumn ». J’ai vraiment calculé pour que l’album soit équilibré, j’ai réfléchi à ce scénario pour que ce ne soit pas démonstratif, qu’il y ait une histoire cohérente.
Tu mets surtout l’accent sur les effets, plus que sur la mélodie, c’est assez nouveau dans ta production discographique.
Ce n’est pas comme avec Tricycle ou avec Michel Massot et Marine Horbaczewski où il y a deux ou trois voix, avec une basse, un contrechant, la musique qu’on fait est mélodique, avec des moments d’improvisation, mais la ligne est toujours celle de la mélodie. Ici, il y avait l’envie de créer un son qui ne soit pas nécessairement structuré ; il y a surtout des improvisations et puis il y a « Je me suis fait tout petit », un morceau chouette à jouer à une seule main, juste la mélodie.
On ne parlera pas de mélodie pour « Governing Belgian Style », un petit bijou d’humour surréaliste à la Belge. Le titre t’est venu tout de suite ?
Les titres des morceaux, c’est un peu comme le prénom de mes enfants… Il y a beaucoup de gens qui disent trois mois avant la naissance qu’il ou elle s’appellera Hubert ou autre chose… Moi, il a fallu qu’ils naissent et que je les vois vivre pour leur donner un prénom… C’est un peu comme pour les titres de mes morceaux. Pour « Governing Belgian Style », je trouvais la mélodie un peu chaotique, c’est un morceau qui a un moment donné part en couille sur la fin, et j’ai l’impression que c’est ce qu’on a vécu dans notre pays depuis quelques années et encore plus maintenant. Il ne faut pas être grand compositeur pour écrire ça, c’est un peu un morceau de plombier qui correspond à l’image de notre politique.
Joue-t-on différemment la nuit dans sa remise que lorsqu’on est devant un public ?
En public, il y a le côté aller-retour, un grand luxe pour un musicien de créer et d’avoir directement le retour qui résonne comme un amplificateur d’inspiration, une sorte de thermomètre pour voir si ta musique prend ou non. Sur scène, je m’adapte toujours un peu sans tomber dans le travers de vouloir plaire à tout prix. A Flagey, mon public c’était l’ingénieur du son et un ou deux photographes… C’était déjà trois personnes de plus que ce que j’ai eu les trois mois précédents. C’était aussi particulier avec le vent - le concert avait lieu sur le toit du bâtiment - il fallait que le son soit bien et comme je joue complètement en acoustique, le son est très important.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin - photos © Annie Boedt
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