S'il a étudié la guitare jazz au Conservatoire de Bruxelles, après des débuts en autodidacte, Philippe Doyen s'est toujours passionné pour une large palette de styles musicaux : à côté du jazz, blues, rock progressif, chanson, musique classique ou contemporaine. Ainsi, s'il a fait partie du Chapuis Street Big Band et du quartet de Robert Jeanne, il a aussi côtoyé l'harmoniciste Thierry Crommen, le pianiste et chanteur Erno, le chanteur Miammonstermiam, le groupe Eté 67 comme l’Orchestre Philharmonique de Liège. Son tout récent album « La Valse de l’Héliport » est le reflet de ses goûts éclectiques.
© Jehanne Moll
Qu’est-ce qui t’a poussé à choisir la guitare ?
Alors que j’avais 10-11 ans, mon père m’a acheté une guitare. Il m’a initié et j’ai tout de suite accroché. J’ai été contaminé assez jeune. Chez moi, on écoutait beaucoup de musique, on était surtout orienté « chanson » : on écoutait beaucoup la radio. J’avais une culture populaire assez large, j’ai beaucoup appris par imprégnation, notamment en faisant de la chanson populaire, le chant étant assez présent dans ma famille. Puis, progressivement, j’ai écouté du rock. J’ai rapidement accroché à la guitare, d’abord acoustique, puis, assez rapidement je me suis orienté vers la guitare électrique, je trouvais que c’était moderne comme instrument. Dans mon entourage, c’était exceptionnel de jouer de la guitare électrique : personne n’en avait. J’ai alors vu les choses différemment, je me suis intéressé au blues et à pas mal de musique rock : Pink Floyd, Genesis, des groupes de rock progressif et puis beaucoup Jimmy Hendrix : ces groupes-là, c’est un peu comme une musique du monde tout en ayant un lien avec la musique contemporaine. Ces groupes ont intégré des sons qui ne sont pas considérés, de l’extérieur, comme musicaux : des bruits deviennent des sons musicaux.
On est à la limite entre le cri et les sons musicaux, c’est très expressif. J’aime cet aspect-là : introduire des sons étranges qui viennent nourrir le contenu et aussi donner une vie sur le monde qui nous entoure.
Tu t’es ensuite inscrit au Conservatoire de Bruxelles, dans la section jazz…
J’ai étudié la guitare jazz avec Paolo Radoni. En-dehors de lui, comme professeurs, il y avait Guy Cabay, Arnould Massart en harmonie, Pirli Zurstrassen, Jean-Louis Rassinfosse, Michel Hatzi. C’était au tout début de la section jazz : il y avait Jean-Pol Danhier, Richard Rousselet, Bruno Castellucci et puis un prof de big band.
Au niveau jazz, qui écoutais-tu ? John Scofield, comme le laisse supposer le titre Blues as Sco ?
Oui, tout à fait, cela faisait pas mal de temps que je l’écoutais. Quand je suis arrivé au Conservatoire, j’étais à fond dans ce jazz-là, je me suis imprégné de son style de guitare, en faisant des transcriptions. Je venais d’un univers blues-rock, même si j’écoutais Django Reinhard. Mais, c’est surtout les sonorités électriques qui m’attiraient. Scofield faisait le pont avec Jimmy Hendrix, surtout à l’époque où il jouait avec Miles, dans des albums comme We want Miles ou Decoy : il avait une sonorité très brute, un jeu assez rapide, extrêmement raffiné au niveau harmonique comme mélodique, très technique, très original avec des phrases qui sortaient complètement de la tonalité mais étaient fascinantes, avec une expressivité très grande. Dans une interview, il disait qu’il avait vu Hendrix à Woodstock. Après, son style a évolué, il a cherché une autre palette sonore. Mais Scofield reste une influence majeure.
Tu as aussi étudié la musicologie à l’Université de Liège…
Oui, je me suis inscrit en musicologie après le Conservatoire. Au départ, j’avais fait des candis en psychologie mais comme je jouais assez souvent, je travaillais la guitare, j’ai suivi un cursus en Académie. J’avais des amis qui partais à Paris, cela me faisait peur, je n’avais pas les reins assez solides pour envisager cette aventure-là. Le Conservatoire m’intéressait beaucoup : c’était l’occasion d’approfondir ma connaissance de la guitare. Bien plus tard, alors que j’avais un peu plus de trente ans, j’ai fait un master en musicologie.
© Jehanne Moll
Tu as des goûts éclectiques, cela se marque dans les groupes avec lesquels tu as joué. En jazz, le Chapuis Street Big Band, au sein duquel tu as croisé Mimi Verderame…
C’était une chouette expérience qui a duré plusieurs années. Un des premiers concerts dont je me souviens, c’était en 1993 : moi, j’étais le deuxième guitariste à arriver dans le groupe. Et le dernier concert, c’était en 2003, à Jazz à Liège : un répertoire de Bill Holman, commandé par Jean-Marie Peterken. On a travaillé ensemble pendant une dizaine d’années, on a travaillé un répertoire assez vaste, notamment Peter Herbolzeimer, Michael Brecker, des arrangements des membres du groupe, comme le pianiste Gérard Balla, mais aussi d’Ivan Paduart, de Bert Joris. Il y avait des morceaux swing, d’autres plutôt fusion. On a fait aussi un concert avec Jacques Pelzer aux Chiroux et avec un saxophoniste canadien, Dave Turner.
Tu as aussi joué avec Thierry Crommen…
Oui, en duo, pour un festival, il y a un beau bout de temps. J’ai collaboré avec lui parce que j’ai enregistré avec le pianiste et chanteur liégeois Erno pour son projet Un tango sur l’eau, or lui jouait dans la formule quartet de Thierry. On a joué aux Chiroux et au Botanique. Voilà comment je connais Thierry Crommen.
Tu as attendu longtemps avant d’enregistrer un album personnel, La Valse de l’Héliport, mais c’est vrai que tu as de nombreuses activités : professeur à l’Académie d’Amay, conseiller à l’opération Ca Balance de la Province…
Oui, je fais beaucoup de choses différentes, j’ai tendance à m’éparpiller, à être hyperactif. Je n’arrive pas à faire autrement : c’est dans ma nature. J’aime diversifier mes activités et rencontrer des gens. Par l’intermédiaire de Ca Balance, j’ai l’occasion d’être dans un projet relativement assez nouveau. La première fois que j’ai travaillé pour cette opération de découverte de nouveaux talents, c’était en 2003. Maintenant, ça évolue, les studios vont changer d’implantation. Mais ce travail reste assez anecdotique, cela ne m’occupe que quelques fois par an, ce n’est pas réellement une activité professionnelle. Au sinon, je donne cours à l’Académie d’Amay, dans une école privée à Liège et là, je m’occupe des cours de méthodologie au Conservatoire de Bruxelles, dans la section jazz pour les élèves qui, en master 2, se destinent, entre autres, à l’enseignement. J’ai aussi un petit module d’harmonie pratique au Conservatoire de Liège : je m’occupe d’enseigner les rudiments de l’harmonie tonale.
Ton album est à l’image de tes goûts éclectiques : tu te partages entre guitare acoustique et guitare électrique…
Entre les deux, mon cœur balance : j’adore la guitare acoustique, la guitare nylon mais c’est un autre instrument que la guitare électrique. Cela demande un travail très spécifique. C’est difficile de faire les deux à la fois, je n’arrivais pas à trancher. Je joue avec pas mal de chanteurs, le fait d’accompagner à la guitare acoustique me plaisait beaucoup, j’aime cette sonorité plus douce, complètement acoustique. L’une comme l’autre font partie de mon quotidien.
https://soundcloud.com/masterfilgood/blues-as-sco
© Nicolas Classens
Tu as opté aussi pour différents rythmes : valse, tango, rythmes brésiliens, un morceau intitulé Folk Song…
J’aime la diversité de rythmes : Valse de l’Héliport, Tango pour Jeanne, Blues as Sco. Folk Song est interprété dans une formule small band avec des cuivres, c’est davantage jazz. Les autres compositions sont comme des chansons qui sont détournées pour être assimilée à un album jazz.
Avec des formations à géométrie variable, du solo au nonet avec cuivres et cordes…
C’est un choix parce que l’album est le reflet de diverses rencontres, avec des musiciens que j’apprécie, ce qui permet de montrer différentes palettes sonores au niveau guitaristique. Le fait de jouer seul, comme sur Comme des bribes de temps, me paraît important pour un guitariste. La particularité de cette pièce-là, c’est d’être dans l’esthétique musique contemporaine : en fait, c’est une pièce de musique sérielle, un peu détournée. Le mode de composition est très différent d’une pièce de jazz, la sonorité de la guitare acoustique permet de faire le pont avec les autres morceaux. Il y a aussi quelques morceaux, Under Water ou Folk Song 2, en duo avec Alain Rochette., un morceau en trio, d’autres avec les cuivres et les cordes.
Peux-tu parler du choix des musiciens ?
Je les ai rencontrés à un moment ou un autre dans mon parcours. Daniel Stockart (as, ss, fl), je le connais depuis le Conservatoire. La première fois que je l’ai rencontré, il répétait dans une classe de l’Athénée d’Ixelles, moi, j’étais élève. Il jouait du soprano et j’ai été scotché par son jeu d’un lyrisme exceptionnel, qu’il n’a fait que confirmer par la suite. J’ai immédiatement éprouvé une affinité avec lui, humainement parlant aussi. Je l’ai suivi quand il jouait avec Pirli, dans le septet H et en duo.
Et puis, nous sommes collègues à l’Académie d’Amay : je le vois toutes les semaines. Michel Paré (tp), nous étions élèves ensemble au Conservatoire, il est arrivé un an après moi, si mes souvenirs sont exacts. Nous étions dans la même classe chez Arnould Massart, nous avons joué dans le même ensemble. Je crois aussi qu’il a joué quelques fois dans le Chapuis Street et puis dans le Big Band de Floreffe au sein duquel nous avons fait des remplacements. Je l’ai vu régulièrement, il a souvent débarqué dans les groupes avec lesquels je jouais. C’est un trompettiste exceptionnel, avec beaucoup de lyrisme aussi. C’est aussi un collègue au Conservatoire de Bruxelles.
Phil Abraham (tb), je le connais un peu moins que Daniel. Je l’ai vu plein de fois en concert, à l’époque du Lion s’envoile, en Outremeuse, je trouvais qu’il jouait super bien. Je l’ai notamment vu en trio, avec le guitariste français Frédéric Favarel que j’ai entendu récemment dans l’émission de Philippe Baron. Phil, j’aimais beaucoup ce qu’il faisait, je l’ai croisé à des répétitions de big bands et puis, c’est quelqu’un de très sympathique, c’est une vraie pointure au niveau de l’instrument, il a une réputation internationale, une carrière incroyable et j’étais ravi qu’il accepte de collaborer à mon projet.
Alain Rochette (p, Fender Rhodes) est vraiment un ami. Je l’ai rencontré à l’Académie d’Amay, on a été engagé en même temps, dans les années ’90 et on a tout de suite vu qu’on partageait les mêmes affinités, les mêmes goûts musicaux, que ce soit au niveau du jazz, de la musique classique ou contemporaine. J’ai eu l’idée de jouer en duo avec lui et, de fil en aiguille, je l’ai pris dans le groupe.
Martin Lauwers, le violoniste, je le connais du Conservatoire de Liège, de la classe de musique de chambre, nous étions dans le même groupe avec Fabian Fiorini : c’était la classe de réinterprétation de pièces classiques. C’était un travail collectif, fort nourri par Fabian, il faut le reconnaître, mais aussi par les autres élèves dont Martin. On réinterprétait des pièces classiques en ajoutant certaines improvisations. Je l’ai revu ensuite, dans pas mal de concerts, nous habitons tous les deux Liège. Et j’ai fait une master classe avec la compositrice Annelies Van Parys. Dans cette master classe, il y avait plusieurs cordes : Martin et Marine Horbaczewski, plus une vibraphoniste allemande qui était là en résidence. A cette occasion, j’avais écrit une petite pièce et, du coup, je me suis dit qu’il serait intéressant Martin et marine dans la formation ? Marine, je la connaissais un peu du Conservatoire, j’avais suivi son parcours, il y avait de vraies affinités musicalement. Je leur ai proposé de rejoindre le projet et ils ont accepté.
Werner Lauscher, je l’ai vraiment rencontré avec Robert Jeanne : nous avons joué en quartet mais, en fait, je le connaissais de réputation bien avant : dans les années ’90, Michel Bisceglia qui avait un groupe de jazz fusion, Greenfield Quintet, avec Rhonny Ventat. Il m’avait parlé d’un bassiste avec lequel il avait souvent joué : c’était Werner. Vers 2005, Robert m’a proposé de jouer avec lui. Le courant est tout de suite passé avec Werner. C’est un bassiste hors pair, vraiment polyvalent et qui nourrit le projet : il amène des choses personnelles, donne son avis. C’est très riche de travailler avec lui. Mimi, c’est vraiment le batteur avec lequel je voulais travailler. Je connais plein de batteurs mais, avec cette maturité-là musicalement, c’est quelqu’un sans reproche sur le plan technique. C’est un musicien qui est mu par une diversité de styles et qui a une sonorité personnelle : il s’est vraiment imposé à moi. Cela ne pouvait être que lui. Je savais tout ce qu’il pouvait amener. Par ailleurs, c’est un guitariste hors pair, un musicien complet.
Et puis, sur un morceau, Between us, il y a Stefan Kremer qui joue souvent avec Werner : c’est la rythmique type de Robert Jeanne. Stefan, je le connais depuis les années ’90, il m’avait fort impressionné par un autre aspect que la musique. Il jouait à l’époque avec de vraies pointures, comme Jacques Pelzer, il était assez jeune, plus ou moins 19 ans. On m’avait raconté que, malgré sa notoriété, il avait décidé de reprendre des études de physique. Je m’étais dit : « Voilà quelqu’un qui est doué et connu mais qui décide de réentamer des études supérieures. Voilà quelqu’un qui n’est pas monomaniaque. J’avais trouvé sa démarche exceptionnelle. Après, j’ai joué avec lui dans le quartet de Robert et cela a marché du premier coup. Je me suis senti immédiatement à l’aise avec lui. Il a un super son et une culture jazz que j’apprécie beaucoup.
Quels sont tes projets de concert ?
J’ai un projet de concert, au Théâtre de Liège (1er février 2017), dans la salle de l’œil Vert, en quintet avec Daniel Stockart et Alain Rochette mais la date n’est pas encore fixée de manière définitive. Au sinon, le prochain, c’est au Centre Culturel d’Alleur, le vendredi 3 mars, en quartet avec Daniel, Werner et Stefan. Ce sera un peu particulier : il y aura un vidéaste, Christopher Bouts, un étudiant à l’Académie des Beaux-Arts qui est en classe terminale : il en train de finaliser ses études. Il va s’occuper de tout ce qui relève du maping. Pour le moment, nous sommes en phase de création. Le concert se fait aussi en collaboration avec la section Arts numériques de l’Athénée d’Alleur, des élèves de troisième année que j’ai eu l’occasion de rencontrer et qui vont réaliser une vidéo qu’on va intégrer au concert. Ces élèves font un parcours d’artistes, ils ont rencontré différentes personnes avec leurs professeurs. Ce projet s’inscrit dans la suite d’une autre expérience au cours de laquelle on avait intégré des vidéos, des images en lien avec la thématique du morceau, avec leur climat. Ici, il y aura une dimension live avec les interventions de Christopher Bouts qui va réagir à la musique en temps réel. C’est un projet qu’on a mis en place avec Laurent Van Ngoc, l’animateur du Centre Culturel. C’est intéressant de réunir différentes disciplines et différentes générations.
Concerts :
Centre Culturel d’Alleur, 3 mars.
Propos recueillis par Claude Loxhay
Article publié par jazzaround
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