Paul Jost : dans la lignée des grands storytellers




© Chris Drukker



« Simple Life », c’est le premier album vocal de Paul Jost distribué en Europe et on ne peut passer à côté de cet étonnant musicien, batteur, harmoniciste, guitariste, arrangeur qui a déjà une belle carrière derrière lui. Il était à Bruxelles pour un concert à  « L’Archiduc ».


Ça fait partie du plaisir du métier de découvrir un disque passionnant alors qu’on n’a jamais entendu parler de son auteur…

C’est aussi très excitant pour moi d’être découvert, et merci pour le compliment.


Parlez-nous un peu de vos débuts.

J’ai commencé à jouer de la batterie que je devais avoir cinq ou six ans, ce qui est devenu mon instrument principal et la base de mon activité. Vers l’âge de 21 ans, j’ai commencé à arranger des morceaux, mais il n’y a que huit ans que je me suis concentré sur le chant. Je pense qu’avec ma sensibilité et l’expérience que j’ai acquise avec l’âge, j’y ai trouvé une autre manière d’entrer en contact avec les gens. J’ai eu un prof à la High School, Arthur Harbie (?), qui m’a ouvert à la musique classique, Bach, Stravinsky et plein d’autres choses , c’était quelqu’un de brillant. Il racontait des histoires sur tout ce qu’il m’apprenait. Il attendait beaucoup de ses élèves et vous donnait un certain espace de liberté… Il a été une sorte de héros pour moi.


En demandant à des jazzfans de citer quelques chanteurs de jazz américains mâles, la liste s’arrête vite : Kurt Elling, Harry Connick, Gregory Porter…

Je ne sais pas pourquoi, mais il y en a un qu’on ne cite pas souvent, c’est Bobby McFerrin. Il a été un moment très connu avec « Don’t Worry Be Happy », une extraordinaire pièce qui l’a mis en lumière pendant quelque temps puis il s’est un peu effacé, on l’a plus vu dans des clubs…Kurt Elling je l’ai connu à Chicago quand j’étais batteur… un autre aussi Mike Melillo, Andy Bey, d’autres encore…


Vous avez bien connu Mark Murphy.

J’ai joué de la batterie pour Mark Murphy et la première fois, je ne savais qui il était… J’ai très vite senti qu’il avait un style à lui, qu’il était un artiste absolu dans tous les sens. L’influence que j’ai eue de lui de derrière mes caisses, c’est qu’il pouvait construire une histoire en chantant, il avait une façon de raconter les choses qui m’a frappé, la façon de mettre l’accent sur un mot ou une phrase ; « Lush Life », par exemple, avait un phrasé particulier quand Mark le chantait, il abordait les paroles d’une façon très différente et c’est aussi ce que j’ai cherché à faire, toucher les gens à travers les paroles. C’est ce que j’ai appris de lui, raconter une histoire, et j’ai joué de la batterie pour tant de chanteurs que j’ai appris beaucoup.


© James Wrona


D’où vous vient votre style vocal ?

Chanter « My Funny Valentine », ça a été fait des milliers de fois, mais quoi maintenant ? Où est votre signature ? Ce que j’aime c’est improviser et ne pas refaire ce qui a déjà été fait cent fois. Un chanteur que j’ai écouté récemment et que j’adore pour le moment c’est Theo Bleckmann, il vient d’Allemagne. Il est venu une fois m’écouter et cette fois-là, j’avais repris une chanson de Randy Newman, « Marie », et j’y ai mis des choses personnelles. Theo est venu me trouver pour me dire que c’est une des plus choses qu’il ait entendu, qu’il en a pleuré, je l’ai remercié de ses mots. 

Vous savez, l’écrivain et auteur de théâtre David Mamet disait : « Pouvez-vous juste dire les mots, c’est une belle histoire, inutile d’en faire plus. »  J’ai créé mon style dans cet esprit, j’admire les chanteurs qui ont une grande technique, mais écoutez Randy Newman, il n’est pas un grand chanteur dans un sens mais il sait raconter des histoires. Tout comme Tom Waits, comment peut-il à la fois sonner si horrible et génial en même temps ? Je ne m’en fais pas si la voix craque un petit peu, vous sentez si le chant vient de la tête ou vient du cœur, Je pardonne tout quand ça vient du cœur.


Pour votre album, vous avez choisi un répertoire qui me fait penser à une sorte de « best of » de mon adolescence, mais vous en donnez une lecture tout à fait originale.

Oh merci ! Si je prends, par exemple, « Blackbird » de Paul McCartney, c’est une si belle mélodie, mais il fallait lui donner des couleurs personnelles. Le reprendre comme un hommage à McCartney, ça n’avait pas beaucoup de sens et j’ai voulu en faire quelque chose hors des sentiers battus, sur un tempo rapide, mais où on reconnaissait tout de même la mélodie.


Toucher à des monuments comme ce « Blackbird » ou « Girl from the North Country » de Dylan, ça peut être aussi stressant.

Il y a un peu de ça, quand on touche à l’œuvre de quelqu’un, comme sur les morceaux de Bruce Springsteen que j’ai repris lors d’un festival, mais je raconte mon histoire à travers les mots de quelqu’un d’autre.


Je pense aussi à « Everybody’s Talking »…

Vous devez rester ouvert aux possibilités, quand vous jouez, quand vous écrivez… Quand je lis les paroles d’une chanson et que j’y trouve quelque chose qui colle à ma vie, que ce soit sombre ou non, mais que c’est dans mon univers… Quand j’ai entendu « Everybody’s Talking», j’ai pensé à Mark Murphy, j’ai pensé à ce qui pouvait arriver à n’importe lequel d’entre nous… Ce sont des paroles si puissantes, si émouvantes, j’ai entamé le morceau avec « Stolen Moments » de Oliver Nelson que Mark Murphy chantait souvent, c’est un hommage à lui et aux « stolen moments »… Les gens qui connaissent Mark savent de quoi il est question ; il y a des choses positives que j’aime dans cette chanson, c’est une sorte de voyage. C’est très puissant pour moi et pour les musiciens parce que la musique est une forme d’art qu’on partage avec un collectif, avec un solo de piano, de guitare, cela donne une force à la musique. Mon pianiste est un des meilleurs que je connaisse, il sent la musique, il pense en terme de compositions, sait s’arrêter au moment où il le faut, il ne joue pas un solo pour le seul plaisir du solo…


Si je reviens à ce que vous disiez au début, c’est curieux que vous ayez cité Bobby McFerrin qui ne colle pas vraiment à votre univers… Un jour, Chet Baker m’a dit que Bobby McFerrin n’était pas un chanteur, mais un entertainer…

Je suis d’accord avec Chet, je comprends ce qu’il veut dire, je ne me considère pas moi-même comme un vocaliste, mais comme un musicien et un « storyteller », comme d’autres jouent de la guitare, être dans le moment c’est important pour un chanteur… Il y a un grand risque dans l’improvisation, dans la création, quelque chose d’émotionnel. Pour moi, il y a une trinité dans la musique : le cœur, la technique et la connaissance…. Quand Chet chante, on sent qu’il approche la musique comme un musicien. J’espère de mon côté ne jamais faire deux fois la même chose… Prendre des risques c’est aussi ce qui fait le jazz, le jazz ce n’est pas régurgiter toujours la même chose.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin


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