Monk aurait eu cent ans en 2017 et un grand nombre d’artistes lui ont rendu hommage. En Belgique, le saxophoniste Robin Verheyen et le pianiste Bram De Looze viennent de sortir avec le génial batteur américain Joey Baron une pièce majeure en hommage à Thelonious.
Le saxophoniste et le pianiste expliquent la genèse du projet :
« C’est BOZAR qui m’a demandé de réfléchir à un projet pour le centenaire de Thelonious Monk. Ce n’était pas évident car je ne voulais pas faire quelque chose sans que ce soit original. J’ai tout de suite pensé à Bram comme on travaillait déjà ensemble en duo, je sentais qu’il avait quelque chose de frivole et une manière de jouer qui fait de temps en temps penser à Monk. Mais un duo me semblait trop court pour ce genre de musique : j’ai pensé à Joey Baron car nous avions déjà joué ensemble au festival du Middelheim et j’ai travaillé comme producteur pour quelques disques sur lesquels il a joué.
On n’a pas imaginé avoir formé un groupe qui pourrait durer, c’était pour Bozar. Puis quelques concerts ont suivi, une tournée s’en est suivie. Il y a une écoute très particulière dans ce trio d’autant qu’on joue sans contrebasse, ce qui créait un univers différent. Après la tournée, on a décidé de poursuivre le projet avec les compositions de Monk, mais aussi avec des originaux de Bram, de Joey et de moi. On est alors entré en studio pour deux jours et ça s’est passé tr ès bien. On essayait des choses différentes des concerts, par exemple, j’ai proposé l’idée de jouer « Boo Boo’s Birthday » très lentement et ça a marché parce que chacun est très ouvert. Avec l’expérience qu’il a, Joey sait comment rassurer les gens, c’est une personne très agréable. »
Vous n’avez pas choisi le répertoire le plus connu de Monk.
« On ne voulait pas faire « I Mean You » ou « Round Midnight », mais on a tout de même choisi des morceaux qui ont une atmosphère dans l’univers de Monk. Quand on joue « Oska T », il y a directement quelque chose qui se passe, une émotion très forte, comme dans « Monk’s Mood » ou « Ugly Beauty » aussi, des ballades incroyables pour lesquels on peut se contenter de jouer la mélodie, avec une expression vraie, il y a tellement de tellement de musique là-dedans. »
Ce sont aussi des morceaux qui sont particuliers dans la discographie du pianiste: « Oska T » a une structure bizarre, « Bya « a un côté latin, un autre est joué en valse par Monk, « Ugly Beauty »…
« Ils sont d’autant plus intéressants car si on joue par exemple « I Mean You », on risque de se perdre dans des choses plus banales. Pour nous c’était important de trouver des morceaux où on peut donner notre touche. « Bya » est plus rapide que la version d’origine, « Boo Boo’s Birthday » plus lent, « Oska T», Monk ne l’a joué qu’en big band et on sent que le groupe n’était pas prêt pour le jouer et ça perdait un peu de sa magie car les musiciens n’étaient sans doute pas habitués à jouer ce genre de chose. Notre but était de faire briller la mélodie d’un morceau de Monk, plus que de mettre en évidence un soliste. »
« Dance » est une composition de toi qui évoque Monk.
« C’est l’esprit de Monk, son attitude sur scène qui m’a inspiré ce morceau. Monk était un personnage extraordinaire. »
« Fifty Fifty » a été écrit à deux ?
« Oui, pour « Fifty Fifty », je travaillais en duo avec Bram, il avait une séquence d’accords et moi j’en avais une autre. La première est devenu la section A et la deuxième la section B, on a travaillé ensemble sur ce morceau qui était très improvisé et à un moment donné, on s’est dit « c’est ça ! ».
Et MixMonk » ?
« MixMonk » est une composition de moi : parfois j’aime donner une forte impression, une sorte d’énergie, de surprise, très courte. Il y a de plus en plus de musiciens qui délaissent les morceaux de huit minutes, mais qui laissent respirer la musique sur une structure plus courte. A l’époque de Monk, beaucoup de morceaux étaient aussi fort courts. »
Bram, peux-tu évoquer le premier contact que tu as eu avec la musique de Thelonious ?
« Il y a tellement de compositions qu’il a écrites… J’avais sept ou huit ans quand mon père a mis un morceau de Monk à la maison et j’ai réalisé tout de suite le caractère de ce pianiste. Vers douze ans, je me suis mis à écouter ses disques et vers quinze ou seize ans, j’ai commencé à jouer sa musique. J’ai une grande collection de ses disques. »
Qu’est ce qui t’a attiré chez lui ?
« C’est surtout sa personnalité qui m’a attiré, j’ai beaucoup de vidéos de lui et rien que voir sa façon de jouer est quelque chose de très spécial, c’est presque un percussionniste, c’est un musicien dont je me sens proche. »
Pour un pianiste, rendre hommage à Monk peut se révéler être un piège : tu ne cherches absolument pas à imiter Monk.
« Dans notre vie, on cherche toujours quelque chose au fond de soi, et c’est toujours ainsi que ça se passe quelque soit la musique qu’on joue, je cherche toujours à créer quelque chose de nouveau, à ne pas copier ce que j’ai entendu, mais en restant dans l’esprit. Prendre les idées de base et en sortir quelque chose. »
On retrouve en effet cet esprit dans vos compositions.
« Mind Mirror » est une pièce typiquement entre les deux mondes, celui de Monk et le nôtre. « MixMonk » que Robin a composé est plus dans l’esprit de ce que Monk faisait au temps du bop. Entre ces deux morceaux, on a créé un équilibre entre notre monde et celui du pianiste. « Bya » est un morceau qu’on joue toujours en fin de concert parce que ça marche toujours bien. Même les morceaux plus bizarres, comme « Boo Boo’s Birthday », on essaie de les jouer de façon claire, facile à écouter, on joue beaucoup sur la mélodie. »
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin - photos © Annie Boedt
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