Elles ne sont pas si nombreuses que cela les formations européennes à avoir une identité forte, une écriture qu'on reconnaît immédiatement. De son Azur Quartet à son Hope Quartet ou le Sky Dancers Sextet, en passant par le Strada Sextet ou le Nord-Sud Quintet, c'est le cas des différentes formations d'Henri Texier. A 70 ans, le contrebassiste entame une double tournée. Après un passage par l'Autriche et l'Allemagne, il sera présent les prochains jours en Belgique pour le Hello Festival, avec son Hope Quartet. En novembre, il présentera, à Paris mais aussi au festival D'Jazz de Nevers, son nouveau projet : le Sky Dancers Sextet, en hommage à ces Amérindiens, « danseurs du ciel » qui défient le vertige du haut des échafaudages des gratte-ciel à New York. L'occasion d'exprimer sa vision du musicien « citoyen » en prise avec des préoccupations sociétales et de réaffirmer sa volonté de donner une authentique dimension humaine à sa musique.
(Propos recueillis par C. Loxhay)
Le Hope Quartet est né à...L'Improviste...
Exactement. C'est un groupe qui est né à L'Improviste, une péniche transformée en lieu de spectacle, où a eu lieu le premier concert du quartet : c'est un groupe qui est né presque par hasard. Mon fils, Sébastien, avait une carte blanche qui lui permettait de programmer quatre ou cinq concerts dans ce club. Il a eu l'idée de nous réunir : lui à la clarinette et au saxophone alto ; au baryton, Francois Corneloup avec lequel j'ai beaucoup joué dans différents groupes et, à la batterie, Louis Moutin, avec lequel je n'avais jamais joué. François non plus, d'ailleurs. Le concert s'est très bien passé, j'étais à un moment où j'étais en train d'imaginer de rencontrer de nouveaux musiciens. A l'audition des enregistrements réalisés par l'ingénieur du son de L'Improviste, je me suis dit que ce quartet pouvait constituer mon nouveau groupe. L'album, sorti en 2013, s'appelle « At l'Improviste » : c'est l'enregistrement live du premier concert que nous avons fait ensemble. On avait répété la veille, on avait survolé les compositions : ce qui donne à la musique un côté très spontané.
Comment le choix s'est-il porté sur Louis Moutin ?
Au départ, ce n'est pas moi qui l'ai choisi, c'est Sébastien. Il m'a proposé de le rencontrer. Je le connaissais depuis longtemps : Louis Moutin était un tout jeune batteur quand j'ai commencé à l'écouter dans les clubs. On avait une relation amicale mais on n'avait jamais joué ensemble. Sébastien, lui, avait souvent joué avec lui et il trouvait que c'était un batteur qui correspondait très bien à mon univers. Cela s'est réalisé de cette façon.
Initialement, le répertoire était constitué de compositions anciennes. Et maintenant, en tournée ?
Pour le premier concert, j'avais choisi quelques-unes de mes anciennes compositions et il y avait aussi des compositions de Sébastien. Maintenant, pour les tournées, on a un nouveau répertoire : j'ai composé de nouveaux morceaux.
Chacune de vos formations a une identité forte et véhicule des mélodies immédiatement reconnaissables. Quelle est votre première préoccupation dans l'écriture ?
Ma première préoccupation ? En fait, je n'en ai pas vraiment. Comment expliquer cela ? Vous savez, les artistes, en général, sont plus ou moins inspirés par des événements, des rencontres ou des voyages, un peu comme dans la vie de tous les jours. Nous traduisons toutes ces impressions et sensations au travers de notre forme d'art, en l'occurrence, en ce qui me concerne, avec la musique de jazz. L'inspiration peut survenir de manière spontanée à la suite d'un choc émotionnel. Le prochain album, avec les Sky Dancers, m'a été inspiré par les Amérindiens, à la suite de la lecture d'un article dans le Courrier International qui relatait l'état de dénuement, de misère dans lequel se trouvaient la plupart des réserves d'Amérindiens en Amérique . Il m'a semblé que c'était important d'associer à mon univers musical cette préoccupation à l'égard des Amérindiens. A partir de là, des idées me viennent, quelquefois je retravaille d'anciennes idées : tous les artistes le font, que ce soit des écrivains, des peintres, des chorégraphes ou des cinéastes. Parfois, on accumule des choses, on les conserve dans un coin, parfois simplement dans sa tête et puis, lorsqu'on éprouve le besoin de se renouveler, on va regarder dans ces carnets de notes. Une petite idée qui, au départ, ne paraissait pas très intéressante devient le point de départ d'un nouveau projet. Il m'arrive aussi de penser à un univers ou une personne en particulier, de m'asseoir devant le piano ou derrière la contrebasse et d'imaginer une musique en relation avec cette situation comme s'il s'agissait d'une musique de film ou d'une musique pour la scène.
Au sein de Sky Dancers, on retrouve les membres du Hope Quartet mais aussi deux « nouveaux » : le guitariste Nguyên Lê et le pianiste Armel Dupas...
J'avais très peu joué avec Nguyên Lê mais c’est un musicien qui me plaît depuis très longtemps : j’ai toujours aimé ce musicien. Je suis de nature assez fidèle : donc, je ne change pas de musicien très souvent. Quand j’ai la chance de rencontrer des musiciens qui m’inspirent et avec lesquels je me sens en état de solidarité musicale, j’aime bien continuer de jouer avec eux et de développer l’expérience, d’explorer de nouveaux espaces à découvrir. C’est comme pour les notes dont je parlais tout à l’heure, des idées qu’on range dans un coin de sa tête. Nguyên Lê y était présent depuis très longtemps et là, c’était l’occasion de lui proposer de rejoindre le groupe. Ce qu’il a accepté volontiers. Je suis très content parce que c’est un très grand musicien, un guitariste non seulement très inspiré mais très original. L’occasion s’est présentée, je ne l’ai pas ratée.
De son côté, Armel est un jeune musicien d’une trentaine d’années. Très souvent les rencontres se font par hasard. Je l’ai découvert lors d’un concert dans un bar. Je suis très attentif à ce qui se passe dans les clubs. J’aime bien aller écouter mes camarades musiciens, découvrir de nouveaux talents, savoir comment ils inventent. J’étais en vacances en Vendée, au bord de l’Atlantique, dans un petit port de pêche où il y a un jazz-bar, un bar modeste qui organise des concerts, notamment avec des musiciens qui habitent la région de Nantes, toute cette région des pays de Loire. Armel Dupas est originaire de Nantes. Il jouait avec deux camarades de la classe de jazz du Conservatoire national de Paris, en trio piano-contrebasse-batterie. J’ai entendu ce pianiste qui m’a vraiment surpris, je ne m’attendais pas à une telle découverte : il jouait des standards de jazz, un matériau musical connu, mais il les abordait d’une façon original, avec énormément de qualités et de sensibilité. Cela m’a plu : j’ai pris note quelque part dans ma tête, en me disant que si, un jour, j’avais l’occasion de travailler de nouveau avec un pianiste, je ferais appel à lui. Je lui ai ainsi demandé de rejoindre la bande des Sky Dancers.
Pour ce projet, vous avez composé un répertoire que vous avez pu rôder lors de festivals…
En fait, le festival du Mans m’a demandé une création : c’est là aussi un motif pour écrire de la musique, en parallèle au fait que cette musique a été inspirée par les Amérindiens. C’est une sorte de commande de l’Europa Jazz, en co-production avec deux autres festivals : les Rencontres de l’Erdre, un gros festival de jazz à Nantes et Jazz sous les Pommiers de Coutances. Ces trois festivals se sont associés pour me commander ce travail.
Pour le moment, vous êtes engagé dans une double tournée…
Nous serons en Belgique pour deux dates avec le Hope Quartet, après des concerts en Autriche et en Allemagne. Avec les Sky Dancers, on sera au New Morning, à Paris, le 9 novembre et le 10 au festival D’Jazz de Nevers puis pour un festival en région parisienne, Au fil de l’Oise, au Nord de Paris.
Dans vos compositions, on retrouve souvent un côté « militant »…
Militant, je n’irais pas jusque là, mais « citoyen » comme on le dit maintenant. J’ai du mal à imaginer la musique sans signification. J’aurais beaucoup de mal à appeler mes compositions « Suite n°1 » puis « Suite n°2 ». C’est vrai que la musique se suffit à elle-même, on n’est pas forcément obligé d’imposer à l’auditeur une image déterminée : il peut apprécier la musique par elle-même. Mais j’aime beaucoup l’idée de donner une signification à mon travail. Je suis préoccupé, comme énormément de gens sur terre, par l’injustice, l’écologie. Je ne supporte pas que la terre soit souillée, abîmée, détruite. Pour le moment, c’est terrible tout ce qui se passe, en Europe, au niveau des migrants venant du Moyen-Orient. Tout cela, c’est des choses qui me touchent beaucoup. J’essaye, au travers de la musique que je joue, d’exprimer ces sentiments ou simplement d’attirer un peu l’attention, dans mon modeste domaine, sur des problèmes actuels comme, par exemple, l’eau : l’eau est en péril (album « Alerte à l’eau »). J’ai aussi déjà consacré un album aux Amérindiens, il y a 25 ans (An Indian’s week, puis Mad Nomads). C’est simplement pour attirer l’attention sur des problèmes qui préoccupent l’humanité entière. Ce n’est pas vraiment « militant », je ne suis porte-drapeau d’un quelconque mouvement, je ne prends pas la parole au nom d’une communauté politique ou sociale, je m’exprime en mon nom. J’ai la chance de pouvoir communiquer et partager, avec un certain nombre d’êtres humains, au travers de la musique et peut-être est-ce une sorte de devoir pour l’artiste de véhiculer des idées, d’essayer de mettre en lumière des préoccupations qui sont communes à tous.
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Article publié par jazzaround
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