Frank Tortiller et Jacques Mahieux : le jazz comme musique d'appropriation.

En marge de leur concert au Gaume Jazz Festival, rencontre décontractée avec Frank Tortiller et Jacques Mahieux, où il est question du projet « Janis the Pearl », du Vienna Art Orchestra, de l'Orchestre National de Jazz, de la rencontre entre le vibraphoniste et le batteur-chanteur mais aussi d'un musicien méconnu... Stéphane Bouchard.


© Christian Deblanc

Comment est né le projet Janis the Pearl ?

Frank : J'ai toujours considéré que le jazz est une musique d'appropriation et donc qu'elle se nourrissait de beaucoup d'influences diverses, notamment en ce qui me concerne. J'ai un père qui était musicien de jazz amateur et musicien de bal : j'ai grandi là-dedans. J'ai été élevé dans les valses musettes mais aussi dans la pop des années '70 qui, pour moi, restent un moment à part dans l'histoire de la musique mais aussi de l'art du XXe siècle. Il y a deux grands moments pour moi : entre 1914 et 1920 au quartier Montparnasse à Paris et les années 60-70, dans les aller-retour entre Londres et New York. Janis Joplin, je parle sous le contrôle de Jacques qui est mon référent, est généralement présentée comme une chanteuse de pop. En fait, pas du tout, pour moi, c'est vraiment une chanteuse de blues.

Jacques : Elle admirait Bessie Smith et a payé l'épitaphe de sa tombe jusqu’alors anonyme : « The greatest blues singer in the world will never stop singing 

Frank : Pour moi, c'était l'occasion de revisiter cette musique-là et d'écrire de la musique pour ce projet avec Jacques : lui a écrit des textes ; moi, j'ai écrit la musique et conçu les arrangements. Le point de départ est un livre, un échange épistolaire entre Janis Joplin et sa soeur Laura, un livre qui donne un autre éclairage sur sa personne. Nous nous sommes appropriés non seulement une musique mais un univers. Comme on l'avait dit dans une émission de France Culture : l'album est en quelque sorte une lettre d'amour adressée à Janis.

Comment le choix s'est-il porté sur Jacques pour interpréter les chansons ? On aurait pu s'attendre à ce que le choix se porte plutôt sur une chanteuse...

Frank : Pour moi, une chanteuse, ce n’était pas possible parce que, tout à coup, on aurait créé un effet miroir, on n’aurait plus été dans l’appropriation, dans l’interprétation mais dans le simple « cover », ce qu’on voulait éviter à tout prix. Pour moi, il y avait une seule personne qui pouvait concrétiser ce projet, c’était Jacques et d’ailleurs, quand j’ai pris le téléphone pour l’appeler, j’ai pris la décision de renoncer au projet s’il refusait d’y participer. S’il avait dit non, tant pis : pour moi, il n’y avait que lui qui pouvait faire cela, dans cet esprit-là, dans l’aspect musicien-chanteur aussi et dans l’histoire que cela raconte, dans les textes écrits, dans la façon de les réinterpréter, dans les arrangements et la façon d’être sur scène. S’il ne voulait pas, j’abandonnais. Heureusement, il a dit oui : j’étais soulagé.

Vous vous étiez rencontrés auparavant, notamment pour le troisième album de Paris Musette…

Frank : Pour Paris-Musette, on est dans le même album, mais, en fait, on n’a pas joué ensemble. Par contre, on s’est croisé avec Jean-Marc Padovani, avec Michel Godard. On s’est croisé à différentes reprises : on se connaît depuis un bout de temps.

Vous connaissiez ses albums de chanteur ?

Frank : Oui, j’étais au premier rang des concerts.

Comment le répertoire a-t-il été choisi ?

Frank : Pour les compositions de Janis Joplin, on a choisi ensemble pour prendre les « hits », le peu de morceaux qu’elle avait écrits elle-même : Kozmic Blues, Move over, Mercedes Benz, pour lesquels elle était vraiment dedans et aussi des morceaux emblématiques pas forcément de Janis Joplin mais révélateurs d’une certaine époque, notamment Piece of my heart qui a été chanté par Erma Franklin, la sœur aînée d’Aretha.

Jacques : Oui, un morceau enregistré pour un petit label, Shout, j’ai racheté la compil.

Frank : Bref, un morceau très RNB et sur les compositions faites ensemble, on voulait garder cet aspect très « chanson » parce que le projet est composé autour de Jacques, c’est lui le personnage central, ce n’est pas moi ni l’orchestre. Sur les compositions originales, le but était de retranscrire ce que je pouvais imaginer de ce que cette époque représentait pour moi.


© Christian Deblanc

Toi Jacques, tu as écrit deux textes : d’abord Drinks are on Pearl, puis If there is one. Quelle a été l’inspiration ?

Jacques : Les textes sont venus de ce fameux livre de correspondance avec la sœur de Janis : c’est une mine. Drinks are on Pearl vient d’une histoire véridique. Janis était déjà dans la deuxième mouture de son testament, soit par prémonition, soit, connaissant les Américains, parce que, dès qu’on devient riche et célèbre, on prend ses dispositions avec un avocat. Toujours est-il qu’il y avait une disposition stipulant qu’une certaine somme était réservée pour les boissons à servir lors de l’enterrement. Cela s’était déjà fait avec un Hells Angels à San Francisco. Elle avait trouvé ça super de faire une grande fête à sa mort, pour tous les copains. Elle avait mis 2500 dollars de côté. Je ne sais pas si elle savait que cela allait servir aussi vite. Dans tous les cas, ça a servi. Sa sœur Laura raconte qu’il y avait différents groupes, des pétards, des space cakes. La pauvre, elle en a avalé un sans savoir ce que c’était et elle a vomi tout son quatre heures sur les chaussures d’un avocat de Janis. C’est quand même un sujet d’inspiration. Pour If there is one, l’idée est d’imaginer ce qu’elle pouvait trouver au paradis, pour autant qu’il existe : un meilleur band, un meilleur homme, la paix de l’esprit. J’ai vécu cette période-là en direct : j’ai trois ans de moins qu’elle. A l’époque, ça tombait de tous les côtés : Hendrix, Miles qui passait à l’électricité, Coltrane, on ne savait plus où donner de l’oreille. Toutes les semaines, sortait un truc qu’on écoute encore maintenant. J’aimais bien la chanteuse mais ce qu’il y avait derrière, l’accompagnement, en tant que jazzman, ça ne m’avait pas séduit. Alors, du coup, j’ai dit dans le texte que j’espérais qu’au paradis, elle allait rencontrer des orchestres dignes d’elle. Ce projet m’a permis de la remettre à sa vraie place.

Au sinon, dans les chansons choisies, comme Mercedes Benz, on retrouve un peu ton humour caustique : « Oh Lord, won’t you buy me a Mercedes Benz, My friends all drive Porsches… »

Jacques : En effet, c’est un univers qui ne m’est pas étranger. En fait, ils ont fait ce texte à deux ou trois, dans un bistrot, un soir pour bricoler, mais elle n’est accréditée qu’à Janis.

Frank : C’est normal, c’est elle qui le chante ce texte.

Par ailleurs, il y a trois textes écrits par Alice Fitzgerald. Qui est-ce ?

Frank : C’est quelqu’un que j’ai rencontré. Elle m’a envoyé ces textes qui sont assez littéraires et sont toujours inspirés par le livre épistolaire. Notamment Sister Laura, c’est une lettre imaginaire que Janis est sensée écrire à Laura. Ce qui est intéressant dans le livre, c’est qu’il permet de cerner une autre face de Janis Joplin. Tout le monde dit qu’elle était un peu « dézinguée » mais, en fait, elle pouvait être « fleur bleue ». Elle disait à sa sœur : « Je vais jouer au festival de Monterey, j’ai acheté une jolie robe bleue ». Elle avait beaucoup de candeur, de tendresse. Ces textes-là rendent compte d’un visage moins défoncé. Il y avait beaucoup de profondeur chez elle.


© Jos L. Knaepen

L’album se clôt sur Chelsea Hotel de Leonard Cohen…

Frank : C’est une idée de Jacques.

Jacques : Cela m’est venu à l’esprit tout de suite, c’est une chanson magnifique, une des rares fois où Leonard Cohen révèle à qui le texte était destiné : en général, il est plutôt discret à ce propos. D’autre part, je chantais ça en m’accompagnant à la guitare avec quelques copains. Le texte s’est imposé. J’ai trouvé qu’on se trouvait en plein dans l’esprit de l’album.

Frank : Pour moi, lorsqu’on fait une relecture, ce qu’on a essayé avec ce projet, c’est créer un univers autour des musiques, des textes et pas de faire un « cover band », ce qui n’avait aucun sens. C’est cette appropriation-là qui m’intéresse.

Le travail d’arrangement est très important, comme pour l’album « Close to heaven » de l’ONJ, autour de l’univers de Led Zeppelin.

Frank : Notamment par rapport à l’orchestre, il y a un important travail d’arrangement, d’écriture. Il y a aussi le choix de l’orchestration : ici, pas de saxophone comme à l’époque de l’ONJ avec Eric Seva, mais quatre cuivres. Cela donne quelque chose de plus percutant, peut-être de moins jazz. Quelque chose de doux et enveloppant. J’ai conçu l’écriture un peu différemment, j’aime bien la couleur que cela donne, avec des aspects presque de fanfare ou un peu de musique classique. Lorsqu’on fait des arrangements, en tout cas pour moi, mon souci premier est de ne pas sur-écrire. L’arrangement est écrit pour la voix de Jacques, tout est à son service, ce qui laisse une grande liberté de jeu et d’interprétation à l’orchestre. Personne n’est là en se disant qu’il doit jouer des choses super difficiles, même si rien n’est facile. Et puis, avec ces musiciens, on joue pratiquement depuis 1999, il y a une vraie confiance. Tout le monde sait comment j’écris la musique et je sais comment tout le monde joue. Il y a une vraie osmose dans la façon de jouer.

Dans le disque, on retrouve plusieurs musiciens de l’ONJ…

Frank : Oui, Jean Gobinet à la trompette, Jean-Louis Pommier au trombone, Yves Torchinsky à la contrebasse et Patrice Héral à la batterie.

Mathieu Michel, le second trompettiste, vous l’avez connu à l’époque du Vienna Art Orchestra…

Frank : Oui, comme Patrice que j’ai connu à l’époque du Vienna et croisé à d’autres reprises. J’ai connu Mathieu dès 1990, quand je suis entré au Vienna : c’est quelqu’un que j’admire beaucoup. Pour moi, c’est sincèrement un grand musicien trop peu connu: il a une poésie fantastique. Ce que j’ai appris avec les musiciens du Vienna, c’est que ce sont de fortes individualités avec des potentiels de solistes incroyables mais toujours au service d’un projet collectif. C’était le cas aussi quand j’avais l’ONJ.

Il y a eu une longue période avec le Vienna ponctuée de plusieurs albums…

Frank : Oui, plus ou moins dix ans, avec plusieurs albums : un consacré à la musique d’Ellington et de Mingus, un album triple enregistré à des époques différentes et dédié au 20e anniversaire de l’orchestre, ensuite « America Rhapsody » et, enfin, « Artistry in Rhythm ».

Parmi les musiciens du Vienna, vous avez aussi croisé le trompettiste Herbert Joos…

Frank : Oui, je l’ai invité pour le troisième album de l’ONJ et puis il y a aussi Christian Muthspiel, le tromboniste, on a joué ensemble en duo et là on va partir en tournée, de la fin août à octobre, en quartet avec Matthieu Michel et Steve Swallow. J’ai toujours beaucoup de relations avec l’Allemagne et l’Autriche.

Vous avez aussi croisé Herbert Joos pour l’album « Cousins germains » de Michel Godard…

Frank : Oui, c’est un chouette disque avec Wolfgang Puschnig (as, fl), Christof Lauer (ts,ss) et Wolfgang Reisinger (dm).


© Jos L. Knaepen

Une autre période importante, c’est celle de l’ONJ…

Frank : Oui, avec un premier album inspiré par la musique de Led Zep, « Close to heaven ». L’idée était la même que pour « Janis the Pearl », arranger des compositions de Led Zep mais écrire aussi des compositions originales. L’époque, lorsqu’on était élu à la tête de l’ONJ, on l’était en tant que musicien, compositeur et arrangeur, sur son orchestre et sur son projet. Moi, j’avais quatre projets en tête et qui tous faisaient référence à mon parcours musical : la pop et Led Zep, c’était important pour moi ; le programme « Electrique » parce que c’était mon penchant jazz électrique que j’avais découvert dans les années 70/80, avec les disques de Miles, de Weather Report ; les valses musettes dans lesquelles j’avais été élevé et enfin, un programme avec un orchestre symphonique autour des opérettes. Les deux premiers ont été enregistrés sous l’appellation ONJ, le troisième sur le label CAM Jazz et le dernier n’a pas fait l’objet d’un enregistrement. Pourtant, on ne l’a pas mal joué. Il s’agissait de proposer des programmes autour de ce qu’on peut appeler « musiques populaires » parce que j’ai été élevé dans ces musiques-là.

Pour « Close to heaven », il y avait un deuxième vibraphoniste, Vincent Limouzin. Pourquoi ?

Frank : L’idée de deux vibraphonistes vient du fait que le vibraphone est un instrument harmonique mais c’est une certaine façon de jouer les harmonies, quelque chose de très ouvert qui laisse beaucoup plus d’espace qu’une guitare ou un piano. Cela donne une vraie couleur.

Jacques : Chanter accompagné par un vibraphone, ça je le recommande. J’ai découvert cela. C’est mieux qu’un piano ou une guitare.

Frank : Par ailleurs, Vincent jouait quelque chose de plus électrique que moi, moi je suis très acoustique. Le but était d'aller’ jusqu’au bout de cette logique de claviers qui donnent un son très particulier, notamment harmoniquement, quelque chose d’ouvert dans le son et l’harmonie. Et puis, ça ne s’était jamais fait.

Dans le programme « Sentimental 3/4 » consacré aux valses, il y avait Domino. Connaissiez-vous la version de Roland Kirk ?

Frank : Je l’ai écoutée. Dès que Roland fait un truc, c’est toujours étonnant. En fait, au départ, je ne savais pas qu’il avait fait cela. J’avais fait une recherche pour découvrir toutes les versions de cette valse. Quand je suis tombé dessus, j’ai été vachement étonné. J’aime bien la valse musette : c’est un élément fondateur de la musique populaire européenne et comme le dit Toots : la valse musette, c’est le blues de la France.

Vous avez aussi souvent joué et enregistré avec le saxophoniste Jean-Marc Padovani, c’est avec lui que je vous ai vu pour la première fois à Nîmes…

Frank : Oui, nous avons eu ensemble une longue collaboration de 6 ou 7 ans, qui a commencé avec le projet « Mingus Cuernavaca », en compagnie de l’auteur et narrateur Enzo Corman, puis avec « Nocturne ». Et, plus tard, un hommage à Eric Dolphy : c’était un chouette projet. Avec Jean-Marc, on a travaillé ensemble de façon importante, par la suite, j’ai créé mes propres projets mais on s’est retrouvé pour cet album « Out, tribute to Eric Dolphy » et, il n’y a pas si longtemps, on a refait un truc en quartet, avec Claude Tchamitchian et Enzo Corman, au Centre Dramatique de Nancy. On ne perd pas le contact. J’aime bien Jean-Marc qui est super actif et qui mène une carrière qui lui est propre.

Vous avez aussi enregistré en solo, en duo et en trio…

Frank : Oui, le solo, c’est le dernier album : « La leçon des jours » qui est sorti l’an dernier. J’ai joué souvent en duo avec Patrice Héral et, en octobre ou novembre, je vais sortir un duo avec François Corneloup. En trio, on a enregistré « ImpertinAnce » avec Michel Godard et Patrice Héral.

Vous avez grandi au sein d’une famille de vignerons, ce qui se retrouve dans l’album « Vitis Vinifera » avec Matthieu Michel, Vincent Courtois…

Frank : C’est mon premier vrai projet que je portais tout seul. Ca me semblait tout naturel de rendre hommage à ces racines.

Vous avez un orchestre conventionné avec lequel vous menez un nouveau projet…

Frank : Oui, c’est un orchestre en résidence à la Scène Nationale de Sceaux avec lequel on travaille un projet appelé « Sept chemins » dans lequel il y a un solo par musicien. Je suis aussi en train de réfléchir à un nouveau projet avec Jacques pour l’année prochaine.

Comme batteur ou comme chanteur ?

Frank : Je ne sais pas encore, peut-être les deux. Au départ, pour Janis, j’aurais voulu qu’il y ait au moins un morceau sur lequel Jacques passe du chant à la batterie mais, pour des raisons purement pratiques, on a dû renoncer. Patrice est gaucher et

Jacques aussi : c’est super compliqué de changer de place.

Jacques : Je suis gaucher mais, par rapport à un gaucher, je joue à l’envers.

A côté de tes deux albums de chanteur, il y avait plusieurs albums où tu passes de la batterie au chant…

Jacques : Oui, sur « Peaux d’âmes » je chante deux morceaux : j’ai pas pu me retenir.

Frank : J’ai retrouvé dernièrement ce super disque en trio avec Philippe Deschepper et Steve Swallow : « Sad Novi Sad », un excellent disque avec une très belle pochette et une série d’invités : Henri Texier, Michel Godard, Gérard Marais...

Jacques : J’ai aussi chanté sur « Comedy » de Michel Godard et Jean-Marc Padovani puis sur « Sereine » de Claude Barthélemy.

Frank : Je me souviens, la première fois que j’ai entendu Jacques chanter c’était en 79-80, je crois, au Tribunal des Flagrants Délires, l’émission avec Claude Villers et Desproges, pour moi, cette émission, c’était la messe. Tu étais là avec les Zhivaros. Villers t’appelle et demande : « Qu’allez-vous chanter ? » Et lui, il dit : « Je vais chanter cette chanson qui a pour titre ‘Mangez du castor, vous sauverez un arbre. » Tu avais chanté un truc de Robert Wyatt.

Les Zhivaros, c’était un collectif particulier qui n’a jamais voulu enregistrer…

Jacques : Non, ce n’était pas le but. Il y avait un noyau de base : Henri Texier, Sylvain Kassap. Le but était de se faire rencontrer des musiciens qui ne se seraient jamais croisés sans cela. On invitait aussi bien Didier Lockwood qu’ Evan Parker.

Frank : Vous avez aussi lancé le fameux Stéphane Bouchard…

Jacques : Ah oui… A l’époque Jazz Hot existait encore, le magazine était dirigé par Philippe Adler. Il avait voulu instaurer un referendum de musiciens, comme Down Beat. Avec Sylvain Kassap et Jacques Veillé, on ne prenait pas cette idée de classement au sérieux. Un jour, au bistrot, on s’est dit dans une vraie synergie : « On va foutre en l’air son referendum ». On a inventé un musicien, Stéphane Bouchard, le nom d’un négociant en vins de Bourgogne, qu’on a présenté comme un vibraphoniste parce qu’un saxophone ténor, ça risquait d’éventer la supercherie. On a écrit à des copains de l’ARFI, de Montpellier : on a voté en masse pour lui et il est arrivé troisième. On s’est dépêché de vendre la mèche et il n’y a plus jamais eu de referendum à Jazz Hot.

Je crois que les Zhivaros avaient invité Phil Abraham, que tu avais découvert lors d’un concours…

Jacques : Oui, au festival de Sorgues, il y avait un concours d’orchestres, je faisais partie du jury. Je n’étais pas d’accord avec le vote, je voulais que ce soit son groupe qui gagne mais c’est des « locaux » qui ont eu le premier prix. Phil Abraham n’a pas été le seul invité belge des Zhivaros, il y a eu Michel Massot et André Goudbeek.

 


© Jos L. Knaepen

Le concert :

Découvrir « Janis the Pearl » en concert donne encore une autre dimension au projet, par rapport à l’album. Ce qui frappe d’abord, c’est l’intensité émotionnelle avec laquelle Jacques Mahieux interprète les chansons : il chante et vit les textes avec ses tripes. Ensuite, c’est la maîtrise de Frank Tortiller au vibraphone : à quatre mailloches, il développe une palette infinie de couleurs ; à deux mailloches, il se lance dans des solos d’une véritable frénésie de rythmes. Le « live » offre aussi plus de liberté et d’espace aux musiciens solistes : on pense à cette introduction vocale de Patrice Héral modulée électroniquement sur Piece of my heart, une intro qui n’apparaît pas telle quelle sur l’album et qui a recueilli une salve d’applaudissements. A la guitare, au-delà de passages très acoustiques, Matthieu Vial-Collet se lance dans des solos ébouriffants aux sonorités rocks saturées. A côté de morceaux joués à la basse électrique, Yves Torchinsky se lance dans une mélodique intro de contrebasse. Au sein de la section de cuivres, deux changements par rapport au disque : Joël Chausse et Alex Hérichon succèdent à Jean Gobinet et Matthieu Michel, le premier au travers d’envolées virevoltantes dans le registre suraigu, à la manière de Cat Anderson, le second, plus apaisé, passe maître dans les sonorités ouatées de la trompette comme du bugle. Complètent la section de cuivres, l’expérimenté Jean-Louis Pommier, un des trombonistes les plus sollicités de France et Anthony Caillet d’une étonnante volubilité à l’euphonium. Tantôt la section sonne comme un brass band enfiévré, tantôt comme un ensemble de cuivres baroque tout en nuances. Débuté par l’arrangement très personnel de Kosmic Blues, comme sur l’album, le concert passe en revue les différentes plages du disque, avec un très beau Chelsea Hotel de Léonard Cohen interprété en duo voix-vibraphone, pour se clore, en apothéose, par une interprétation fiévreuse, très RNB, de Move over : neuf musiciens et chanteur qui vivent intensément leur musique avec une sensibilité à fleur de peau.

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Claude Loxhay
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Article publié par jazzaround


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