Vendredi 27.12.2019 les sites internet annonçaient le décès de Garrett List.
Portrait: Garrett List est né à Phoenix, au cœur de l'Arizona (10.09.1943). En 65, il gagne New York où il résidera jusqu'en 1980. Il intègre la Juilliard School of Music où il croise Luciano Berio et rencontrera aussi Henri Pousseur qui se souviendra de lui. Très vite, il intègre la scène avant-gardiste américaine, entre free jazz, musique minimaliste et musique improvisée. Il côtoie ainsi aussi bien John Cage que La Monte Young ou Frederic Rzewski, aussi bien Anthony Braxton que Steve Lacy ou Byard Lancaster. Avec Frédéric Rzewski et Alvin Curran, il intègre le groupe de musique électro-acoustique improvisée Musica Electronica Viva.
En 1973, il enregistre The Dream House de La Monte Young, en 74, Attica de Frederic Rzewski. En 76, il intègre le Creative Music Orchestra d'Anthony Braxton. Il collabore aussi avec le danseur Merce Cunningham, déjà dans un esprit de décloisonnement.
En 1981, à la demande d'Henri Pousseur qui a déjà accueilli les Séminaires de Jazz, il intègre le Conservatoire de Liège et dirige la Classe d'Improvisation, en remplacement d'Alan Silva, comme l'explique Michel Debrulle:
"Avec Pierre Vaiana, on prenait le train tous les lundis pour aller à Paris, à l'IACP d'Alan Silva. Nous sommes allés trouver Henri Pousseur pour lui proposer de faire venir Alan Silva à Liège. Il faut comprendre ce que cela représentait: le bassiste de Cecil Taylor engagé par le représentant de la musique dodécaphonique. On ouvrait les portes du temple. C'est le début de la Classe d'Improvisation. Un jour, on doit avoir un concert important dans la grande salle du Conservatoire et Alan Silva ne vient pas: Cecil Taylor l'a appelé. Il plante Henri Pousseur qui va alors engager Garrett List."
avec Steve Houben, J.F. Foliez
Garrett List ne se fait pas prier pour gagner Liège:
"Je n'allais pas dire non, dans la situation dans laquelle j'étais, j'avais 37 ans, j'avais bouffé de la vache maigre, et voilà qu'on me proposait un poste fixe, et, en plus, on me donnait carte blanche, je pouvais faire ce que je voulais, je n'avais pas de manuel avec des socles de compétences, pas de cahier des charges. Personne ne donnait cours d'improvisation nulle part." (Garrett List)
Garrett List a pour collègues Jean-Pierre Peuvion qui enseigne la musique de chambre et, plus tard, son ancien élève Michel Massot qui dirige la Classe de rock de chambre. Le conservatoire de Liège devient un bel exemple de politique de décloisonnement:
"Le Conservatoire de Liège est un exemple formidable de volonté de décloisonnement, notamment depuis Henri Pousseur, avec la possibilité de recevoir un enseignement rigoureux, alliant technique et esprit d'ouverture, avec des professeurs extraordinaires qui pratiquaient eux-mêmes la musique dans des ensembles prestigieux, des professeurs comme Garrett List ou Jean-Pierre Peuvion." (Marine Horbaczewski)
Avec ses élèves, il crée de la musique pour films muets, comme Metropolis, il participe à la création de La Rose des Voix d'Henri Pousseur. Il garde toujours des attaches avec le free jazz: il enregistre Driebergen Zeit avec Willem Breuker, Extension Red, White and Blue avec Misha Mengelberg. Avec l'orchestre de l'ICP, il participe aussi au projet Two Programs: Thelonious Monk et Herbie Nichols. Il crée le Real Live Orchestra et le concept Music for Trees. Avec ses premiers élèves, Michel Debrulle, Michel Massot, Fabrizio Cassol, Pierre Bernard, Marc Frankinet, il intègre La Grande Formation qui associe musiciens de jazz et chanteuses lyriques:
"La Grande Formation s'inscrit un peu dans la lignée de Synonymes avec une ouverture vers la musique contemporaine, notamment grâce à l'apport des chanteuses issue du classique. Les voix étaient là pour apporter une couleur: la voix était utilisée comme un instrument." (Michel Massot)
En 1994, Garrett crée le Garrett List Ensemble, avec Pierre Bernard, Rhonny Ventat, Marc Frankinet, Kris Defoort et un quatuor à cordes. Il enregistre The Unbearably Light et The Voyage.
En 1997, il compose la musique de la pièce Rwanda de Jacques Delcuvellerie, un projet qui aura un succès international. En 2000, il enregistre Cils s'ouvrant avec Pirly Zurstrassen et la chanteuse suisse Christine Schaller. En 2006, il fonde The Rifting Society et, en 2010, l'Orchestra Vivo!: une vingtaine de musiciens, parmi lesquels Martin Lauwers (vl) Jean-François Foliez (cl), Aurélie Charneux (cl), Adrien lambinet (tb), Antoine Dawans (tp), Emmanuel Baily (g), Johan Dupont (p), André Klenes (cb), Marine Horbaczewski (cello), Stephan Pougin (perc) pour un répertoire original écrit par les membres de l'orchestre. L'Orchestre enregistre un album en 2014 pour le label Igloo. Il propose The American Songbook, avec Steve Houben et Johan Dupont.
En mai 2019, il fait une de ses dernières apparitions lors d'un concert avec l'Orchestre du Lion réuni par Michel Debrulle: il reprend Anyone lived in a pretty how town, titre phare du premier album de La Grande Formation.
avec Johan Dupont
Repères discographiques:
Garrett List, The New York Takes
Carbon 7
Un album qui réunit trois sessions. La première d'octobre 1977 réunit, autour de Garrett (tb et voix), la chanteuse Eugenia Sherman, Keshavan Maslak (ts, as), Mel Graves (b) et Sadiq Abdu Shahid (dm). La deuxième de septembre 1978 réunit, outre Eugenia Sherman, Byard Lancaster (fl, as), Youssef Yancy (tp, theremin) et Ronald Shannon Jackson. Ces enregistrements sont remixés en 1999 par Christine Verschorren, ce qui explique que la dernière plage, Elegy to the people of Chile, est gravée par un groupe proche du Garrett List Ensemble, avec cordes, flûte, clarinette et piano de Fabian Fiorini.
Parmi les compositions, le très beau Fly Hollywood avec Garrett au chant mais aussi Doo Dah qui relève du plus pur free jazz.
La Grande Formation
Igloo, 1991
Dix musiciens, soit Pierre Bernard (fl), Fabrizio Cassol (as), Marc Frankinet (tp), Vincent Jacquemin (cl), Garrett List (tb, voix), Antoine Prawerman (cl), Michel Massot (tb, tuba), Pierre Van Dormael (g), Michel Marissiaux (b) et Michel Debrulle (dm) mais aussi deux chanteuses, Marianne Pousseur et Lucy Grauman. Des compositions signées F. Cassol (dont l'impressionnante Lettre ouverte à Charlie Mingus), A. Prawerman (Chanson pour Christine) et deux grands "classiques" de Garrett: Anyone lived in a pretty how town sur un texte de E.E. Cummings et Emily sur un poème d'Emily Dickinson.
"Une grande formation parmi les plus intéressantes de la scène actuelle" (JazzMag)
Garrett List, The Unbearably Light
WorldCitizens Records, 1995
The Garrett List Ensemble, soit un quatuor à cordes, avec Cécile Broché, Pierre Bernard (fl), Vincent Jacquemin (cl), Rhonny Ventat (as), Kris Defoort (p) et Garrett (tb et voix). Retour à Fly Hollywood et son rythme charmeur, The Poplar Tree de Music for Trees, Apollo's tango ou The Canyon Song.
Garrett List, The Voyage
Carbon 7, 1998
Autre album du Garrett List Ensemble, les mêmes avec Benoît Vanderstraeten à la basse électrique). Des compositions originales: The Cypress Tree, The heart is the capital of the mind (un autre "classique"), The Magnolia at midnight, Crazy Love ou Your own self.
Un "voyage" entre musique de chambre, musique contemporaine et jazz.
Orchestra Vivo!
Igloo, 2010
Une vingtaine de musiciens et voix, chacun a collaboré à l'écriture des thèmes. Garrett reprend The Heart, mais aussi Military intelligence et Time Piece, en citoyen du monde.
Garrett: l'école de Liège?
"L'école de Liège pour moi, c'est le goût de l'aventure, c'est la constante. Il y a toujours eu des gens pour nourrir ce goût-là et les cours de Garrett, si ce n'est pas créer ce goût de l'aventure, c'est du moins l'entretenir et le faire progresser. Même s'il y a d'autres villes dynamiques, Liège, c'est ça, ça grouille continuellement;" (F.Cassol)
Texte © Claude Loxhay - photos © Robert Hansenne
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