par José BEDEUR, son dernier contrebassiste
© Paul Van Calster
Collectie Juul Anthonissen, eigendom van Peter en Marijke Anthonissen, beheerd door het gemeentearchief van Heist-op-den-Berg
Je n'aimerais pas que ce grand Maître venant de décéder, vous l'oubliiez déjà !
Et comme, l'ayant bien connu, il m'est demandé de l'évoquer, j'assume avec plaisir tout en précisant que ceci ne sera qu'une CHRONique, pas un récit strictement CHRONOlogique !
Le mot grec CHRONOS signifie le temps. il fut pendant ma longue vie, avec l'espace, une des contraintes les plus difficiles à maîtriser. Je ne procède ni par heures, jours, semaines, mois, années, mais un peu à l'aveuglette, avec le secours indispensable de mon agenda... Il y a des concerts où je suis (pas avec Herman je crois) arrivé le jour avant ou le jour après. Je retiens facilement les mélodies et les suites harmoniques, mais ni les titres, auteurs ou interprètes ni, j'en rougis, les noms de mes innombrables confrères...
Je vous dis ça parce que certains lecteurs vont dire, tout bas « Tiens, moi aussi ! ».
Je vais donc vous faire voir Herman SANDY à travers mon langage quelque peu intemporel, bien adapté je le crains à mon âge descendant (ou montant, c'est selon !).
© Paul Van Calster
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Tout est vrai dans ce que je vais vous raconter, mais dissous dans un voyage estompé (vervaagd) :
J'ai connu Herman SANDY il y a 30 ou 40 ans, dans un de ses groupes où, « monté » à Bruxelles, je « remplaçais » souvent, avec feu Jean FANIS (p) et Rudy FRANKEL (dr), heureux de pouvoir ainsi jouer avec tous ses « potes » de sa génération.
J'ai toujours dit que les musiciens sont les produits (des éponges!) de leur époque : à la « libération » (1944 ici par les Américains) Herman avait 28 ans -moi j'en avais 10!- il était d'une génération qui avait l'âge pour en profiter pleinement, ayant le choix de partir en Allemagne, en France, au Congo, aux Etats-Unis... Nombreux sont ceux qui le firent, avec grand profit. Ce n'est que 10 ans plus tard, ayant la vingtaine, que je puis en profiter en... tournant pour le service Welfare dans les bases belges en Allemagne en camion bâchés !!! Par contre je fus plus tard -enfin!- au bon endroit au bon moment, habitant en Espagne à l'ouverture des premières bases américaines !
Mais revenons à Herman qui, amoureux de José, une jolie ouvreuse de cinéma à Bruxelles, choisit de rester ici avec elle, l'amour de sa vie -décédée JUSTE un mois avant lui!- et fera une belle carrière - comme Sadi et bien d'autres respectables vedettes- dans le big band de jazz de l'INR (l'ancêtre de la RTB) sous Henri Segers et celui de la NIR (l'ancêtre de la VRT) sous Francis Bay.
Pour vous donner une idée de cette époque, il y avait en France Jacques Hélian et Ray Ventura, qui enregistraient et tournaient sans arrêt, et la télé s'annonçait !
Et si ces big bands répétaient tous les matins, ils ne jouaient pas tous les soirs, et donc des musiciens dynamiques comme Herman formaient de petits groupes de jazz qui écumaient les nombreux lieux désireux d'attirer la clientèle en nous engageant.
Un de ses petits combos était le BRUSSELS JAZZ GANG, qui tint des décennies, et avec lequel il enregistrait encore en 1981 ! L'abondante discographie figure évidemment en entier dans le monumental BELGIAN JAZZ DISCOGRAPHY édité en 1999, peu avant sa mort, par feu le batteur Robert Pernet (où je figure modestement avec 7 citations...!).
Or il se fit qu' « un beau jour », Herman me fit l'honneur de m'élire son bassiste officiel. Petit problème pour moi déjà devenu bassiste officiel du saxophoniste Willy Van de Walle: avec Willy, né comme moi en 1934, nous avions joué ensemble dans notre 1er orchestre professionnel, sous le trombone Jerry Eve et sa compagne bretonne la chanteuse Micky Morgan et après des décennies d'avatars divers, nous nous étions retrouvés et ne nous quittions plus; cette double appartenance me mettait devant des choix cornéliens, difficilement imaginables aujourd'hui, et j'avais beaucoup de mal à ne pas fâcher l'un ou/et l'autre de mes chefs d'orchestre -qui avaient plein de contrats dans les poches- : je risquais par exemple que mon remplaçant ou bien joue mieux que moi et alors je pouvais peut-être perdre ma place, ou bien qu'il joue moins bien que moi et alors je me ferais engueuler de m'être fait remplacer par un incapable !!!
© Johan Bruyndonckx
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Petit à petit la demande, maximale dans les années 50-60, diminuait dans les années 70. Souvent les établissements n'engageaient plus qu'une fois/semaine. Je jouais par exemple tous les ... avec Willy Place de Brouckère, et tous les ... avec Herman à Linkebeek. Mais CHAQUE FOIS ET OU QUE NOUS JOUIIONS, José, la moitié de Herman était au 1er rang, consommant ou mangeant s'il le fallait, et les petits cachets que gagnait encore son mari servaient EXCLUSIVEMENT à lui offrir des cadeaux !
Mais à cette époque, on engageait encore les groupes en confiance, sur base de leur réputation, et Herman, on le passe souvent -et à tort- sous.
La prochaine dégradation s'annonçait : il fallait maintenant REMETTRE DES PROJETS, traduction: accumuler les répétitions pour pondre quelque chose de neuf, de surprenant et de bonne qualité pour le jouer ensuite 1 ou 2 fois, et rebelotte ! La qualité et la renommée des musiciens ? Dorénavant sans importance. Remplacées par quoi ? La pub, et internet.
Nouvelle situation : 1) Les musiciens « coûtent trop cher » 2) L'évolution technique permet de ne plus engager qu' 1 ou 2 musiciens 3) Les occasions de jouer n'arrêtent pas de se raréfier.
Herman, toujours en pleine forme, décida d'arrêter à 80 ans. Bien sûr il aurait pu continuer, le public aurait été gentil, comme ce fut le cas avec d'autres vieilles gloires, mais il avait sa DIGNITE. Et il offrit un concert apothéose au MIM, en quintette avec feu le pianiste de Nimy Jean HAUREZ (ancien accordéoniste binchois!), feu le batteur José WAMPACH (arrivé jadis de son Ardenne avec André Brasseur!), moi (qui n'ai pas encore « allumé le feu »), et notre grand ami le « jeune » saxophoniste Vincent MARDENS aux contre-chants et, bien sûr aux brillants choruses ! Un CD témoigne de l'état de grâce qui régnait en ce concert d'adieu, dont je devenais lentement un spécialiste, après celui de Willy Van de Walle au Sheraton de Zaventem, terrassé par un cancer ...
Symboliquement, l'arrêt de mes 2 quartettes préférés fut pour moi le signe de la fin des orchestres « professionnels ».
H. SANDY reprit son vrai nom de SANDERS (avant l'américanisation obligatoire après la guerre!) et coula des jours heureux dans son pavillon de Wezembeek-Oppem, recevant ses amis sous la tonnelle, leur montrant fièrement son nouveau lieu de travail: son grand jardin, et veillant sur les 3 générations de sa petite famille.
Je continuais à m'y rendre régulièrement jusqu'au jour où... le ciel me tomba sur la tête: moi qui avais assumé vaille que vaille le titre de « fils spirituel » qu'il avait mis sur mes fragiles épaules, il me fit l'imprévisible cadeau de m'offrir sans commentaires tous ses « accessoires » depuis les gilets à damiers, les détestables chapeaux de paille, sa « farde » de chansons, les tea-shirts, enregistrements et partitions du BRUSSELS JAZZ GANG etc.
Cet héritage inactif pesa de + en + lourd sur ma conscience jusqu'au jour où je craquai: ayant un peu fouillé dans les partitions, certaines salies, d'autres déchirées, perdues, j'étais arrivé à reconstituer plus ou moins le répertoire dixieland qu'il avait popularisé en sextette dans les années 50 et je me mis en quête de gentils musiciens bons lecteurs qui accepteraient de faire de nombreuses répétitions pour rejouer ces arrangements de nos jours.
Et je me battis comme chef d'orchestre pour trouver des contrats pour le nouveau sextette SANDYLAND: un bon projet mais dur, dur, car le dixieland qui était revenu un moment à la mode, ne l'était plus guère, sauf en « marching band » que nous n'étions pas.
L'un de ces concerts, inoubliables, eut lieu à la Jazz Station à Bruxelles, enregistré intégralement par l'équipe du merveilleux Philippe BARON, célèbre sur les ondes pour sa voix, sa gentillesse, son érudition, et l'aide qu'il apporte aux musiciens. Magique: Herman et José nous avaient fait le plaisir et l'honneur de se déplacer, assistant en souriant au 1er rang aux 2 longues parties du concert.
Point sombre: l'impréparation de certains musiciens qui me faisait me demander si je devrais remplacer les souffleurs (tp, ts, tb) ou plutôt la rythmique (p, dr, cb)!!!
Puis un « beau » jour, la vie étant coronaresquement faite de petites surprises guillerettes, je me tapai, sur la route de Frameries où mes collègues jouèrent au Festival de jazz sans moi, un infarctus qui m'amena à supprimer dans ma vie quelques excès, comme celui de porter sur mes seules épaules la gestion de notre SANDYLAND ... qu'aucun des musiciens, beau signe d'intelligence, ne voulait assumer !
Et pendant ce temps-là, le vieillissement commençait à se faire sentir chez les Sanders, et décision fut prise de vendre le pavillon et de louer un petit appartement dans une maison de repos à Anderlecht. Je m'y rendais encore régulièrement, avec différentes personnes. Toujours le règne de la DIGNITE: Herman impeccablement habillé, rasé, coiffé, aucun négligé. La rencontre se faisait invariablement dans la cafeteria et, tout aussi inexorablement, Herman me reconduisait en me glissant dans l'oreille : « José, fais-moi sortir d'ici ! ». Imaginez mon embarras, d'autant que s'installait un notoire déclin intellectuel et verbal; j'espaçai mes visites. Puis, ayant choisi de revenir à Bruxelles sans voiture, je dépendis d'amis pour m’accompagner à la maison de repos, de moins en moins. Sa femme parlait, lui ne faisait plus que hocher la tête; puis José s'en alla, puis Herman nous quitta.
SIC TRANSIT GLORIA MUNDI ;
Un modèle nous a quittés. Merci cher Herman, repose en paix, ta musique était belle et joyeuse.
Texte © José BEDEUR
Photos: Collectie Juul Anthonissen, eigendom van Peter en Marijke Anthonissen, beheerd door het gemeentearchief van Heist-op-den-Berg
P.S. Cette chronique sera reprise prochainement dans un ouvrage que consacrera mon ami saxophoniste Michel MAINIL à mes quelque 70 ans de carrière.
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